Syrie : Entre affrontements armés et manifestations, HTS mène sa « fragile » transition
Après un demi-siècle de dictature, partagée entre Bachar al-Assad et son père Hafez, le régime syrien s’est effondré début décembre. Mais la reconstruction n’est que balbutiante et les nouveaux chefs de la Syrie, le groupe Hayat Tahrir al Sham (HTS), se retrouvent assis sur une poudrière. Mercredi, des membres des forces de sécurité du nouveau régime sont tombés dans une embuscade. Quatorze d’entre eux ont été tués et dix autres blessés, alors qu’ils essayaient d’arrêter le général Mohammed Kanjo Hassan, l’un des « responsables des crimes à la prison de Saydnaya », selon l’Observatoire syrien des droits humains (OSDH).
« Il était prévisible que des affrontements surviennent entre d’anciens fidèles de Bachar al-Assad et des membres du nouveau pouvoir, réagit Bayram Balci, chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences Po. Il faut toutefois espérer que ces fidèles finissent par rendre les armes plutôt que de s’accrocher et d’entraîner plus de morts. » En pleine période de transition, la Syrie pourrait vivre de nouveaux affrontements de ce type. Mais « la question est de savoir si ça va dégénérer en massacre, voire en redémarrage d’une guerre civile », analyse Michel Duclos, ancien diplomate en Syrie et conseiller spécial à l’Institut Montaigne.
Le spectre du « chaos généralisé »
L’un des grands dangers qui menace le nouveau régime est celui d’une instrumentalisation des petites factions armées qui pullulent dans le pays par des proches de Bachar Al-Assad. Les « membres du ministère de l’Intérieur » tués mercredi ont été attaqués par « une bande armée, criminelle, qui était tolérée du temps du régime de Bachar al-Assad [et qui a protégé l’ancien chef de la prison]. Aujourd’hui, ces milices peuvent servir de point d’appui à des membres de l’ancien régime », avertit Michel Duclos. Il établit un parallèle avec la guerre en Irak : « Lorsque les Américains ont défait l’armée, les cadres du pouvoir déchu ont rejoint des groupes terroristes. C’est le même type de phénomène. »
D’autant que les groupes armés sont nombreux en Syrie, où la guerre civile secoue le pays depuis treize ans. « Si ça se généralise un peu partout, une situation de chaos généralisé pourrait en naître », prévient le conseiller spécial à l’Institut Montaigne. Pour s’en prémunir, les autorités ont commencé à saisir les armes des milices armées. « Certains groupes ont commencé à rendre les armes pour se soumettre au pouvoir. Pour d’autres, il faudra passer par la force. Mais quoi qu’il en soit, il est légitime que le nouveau pouvoir réquisitionne ces armes, n’importe quel pouvoir l’aurait fait », assure Bayram Balci.
La voie de la modération
Mais imposer le pouvoir par la force pourrait s’avérer difficile. Les forces en présence sont nombreuses et protéiformes, et le nouveau pouvoir encore fragile. « HTS ne possède que 30.000 hommes, ses forces sont quand même limitées et, même s’ils ont des alliés, ils ne sont pas tout à fait sur la même ligne », glisse Michel Duclos. Difficile donc d’imaginer le groupe islamiste imposer son pouvoir par la force.
Plus que de la brutalité, les nouveaux chefs de Damas « ont besoin de faire des alliances avec toutes les communautés. Étant donné qu’ils ne sont pas en mesure de s’imposer seuls, il est dans leur intérêt d’être modéré », explique Bayram Balci. Le chef de HTS, Abou Mohammed Al-Joulani, passé par Al-Qaida en Irak et l’Etat islamique d’Irak, devra donc « rompre avec l’islamisme radical », estime le chercheur du CERI.
Des « garanties » aux Alaouites
Les autorités syriennes tentent d’apaiser la minorité alaouite, une branche de l’islam chiite dont Bachar Al-Assad est issu. Mercredi, des milliers d’entre eux ont manifesté à Tartous, Jableh, Lattaquié et Banias, après la diffusion d’une vidéo montrant l’un de leur sanctuaire saccagé par des combattants. HTS, accusé d’être à l’origine de ce massacre lors duquel des employés du lieu sacré ont été exécutés, assure que la vidéo est « ancienne » et que les assaillants ne sont pas les siens. La minorité alaouite craint des représailles de la part du pouvoir et pour survivre, ce dernier devra leur « apporter des garanties », prévient Bayram Balci.
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Abou Mohammed Al-Joulani a promis un dialogue national et les autorités échangent avec les représentants religieux alaouites. « Al-Joulani a l’ambition d’être une figure nationale et est peut-être capable de concevoir la nécessité pour un pays comme la Syrie d’être plus divers qu’un simple califat islamiste. De son côté, la population syrienne a vécu tant d’épreuves qu’ils ne se précipiteront pas dans la guerre civile », avance Michel Duclos. Mais sur une terre marquée par la guerre civile, la brutalité du régime de Bachar Al-Assad et le terrorisme, « tout reste fragile », prévient Bayram Balci.