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Syrie : Décimé territorialement, réduit matériellement… Quelle menace représente l’Etat islamique dans le pays ?

Il sait comment profiter du chaos, et l’incertitude qui plane sur l’avenir de la Syrie pourrait, en théorie, devenir une aubaine pour lui. L’Etat islamique peut-il profiter de la chute de Bachar al-Assad pour reconstituer ses forces ? Si son idéologie perdure au-delà des frontières syriennes, le groupe terroriste semble aujourd’hui trop affaibli, aussi bien du point de vue territorial que matériel ou politique, pour représenter une menace immédiate.

Notamment parce que son pire ennemi, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), est arrivé à la tête du pays en se présentant comme l’alternative principale au régime de Bachar al-Assad. Et « dans les prisons de HTS, les ennemis les plus radicaux sont les membres de l’EI », explique François Burgat, ancien directeur de l’Institut du Proche-Orient à Damas. « L’EI met sur le même plan le régime oppressif d’Assad et le « système démocratique » (sic) que voudrait instaurer HTS », abonde Laurence Bindner, cofondatrice du JOS Project, plateforme d’analyse de l’extrémisme en ligne.

Une entité dispersée

Depuis la destruction de son califat et de la dernière poche de son emprise territoriale en 2017, Daesh n’a pas été éliminé, mais largement affaibli. Des 20.000 à 30.000 combattants encore actifs en 2018, il n’en reste plus que 3.000 à 5.000, selon un rapport des Nations unies publié en janvier 2024. Des djihadistes « en grande partie chassés », affirme Jenny Raflik, professeure en relations internationales à Nantes université, et éparpillés dans le vaste désert de la Badia, qui s’étend jusqu’à l’Irak à l’est. Ils ne possèdent pas de territoire comme peuvent avoir les Kurdes ou HTS dans cette Syrie éclatée, mais quelques poches dans le centre du pays.

La présence de l'Etat islamique en Syrie et en Irak représentée par les cinq poches grises au cntre de la carte.
La présence de l’Etat islamique en Syrie et en Irak représentée par les cinq poches grises au cntre de la carte. - Live Universal Awareness Map (Liveuamap)

En plus de ces quelques milliers de djihadistes, environ 9.000 anciens combattants, femmes et enfants, peuplent les prisons kurdes dans le Nord-Est syrien. Parmi eux, « plus de 70 » Français, selon le ministre des Armées démissionnaire, Sébastien Lecornu, que l’Etat refuse de rapatrier.

Une activité affaiblie

Toujours armés, les quelques bastions unis derrière le drapeau noir du groupe djihadiste ont surtout une « activité de guérilla et de harcèlement », selon Jenny Raflik. Avant le renversement surprise du gouvernement de Bachar al-Assad, ils perpétraient surtout des destructions de sites stratégiques comme des pipelines ou encore des raids contre des positions de l’ancien gouvernement syrien. Leurs combats les plus intenses, ces dernières années, se sont concentrés contre HTS. « Le groupe mène une insurrection de basse intensité, mais a nettement accru le nombre d’attaque en 2024 par rapport à 2023 », précise Laurence Bindner.

Avec les événements récents, ils ont pu profiter de quelques failles et de territoires abandonnés par le régime. Comme le 6 décembre dernier, lorsque des cellules ont pris le contrôle de zones dans le désert syrien de Deirezzor, rapporte un activiste kurde basé en Allemagne qui écrit sous le pseudo de Scharo Maroof. La veille, les membres de l’EI avaient revendiqué avoir pris le contrôle de nouvelles zones au sud-est de la ville de Homs après des affrontements avec l’armée syrienne. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a également rapporté mardi l’exécution de 54 soldats syriens en fuite.

Une marge de manœuvre limitée

La présence de l’EI en Syrie représente donc un risque : celui d’une tentative de déstabilisation de HTS et d’une société syrienne fragile. Elle s’appuierait sur « leur stratégie habituelle de susciter la terreur, la violence, créer le chaos et tenter d’instaurer une atmosphère de guerre civile entre les minorités. Le tout pour les amener à se tourner vers eux comme ultime solution, conformément à la stratégie préconisée dans l’ouvrage Gestion de la Barbarie qui guide leur action », prévient Jenny Raflik. « L’EI critique vivement les appels à la coexistence avec les minorités religieuses, en totale opposition son idéologie », ajoute Laurence Bindner.

Si le « chaos et l’anarchie constitueront inévitablement une aubaine pour l’EI » estime auprès de l’AFP Colin Clarke, directeur scientifique du Soufan Center à New York, leur marge de manœuvre semble toutefois limitée car ils sont aussi affaiblis politiquement par la montée en puissance de HTS.

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« Ils n’ont plus de prise dans la dynamique rebelle en Syrie, ils sont devenus très marginaux, très extrémistes », analyse François Burgat. « Les ressources politiques de l’extrémisme ont de la valeur quand les institutions politiques sont bloquées. Mais quand celles-ci recommencent à fonctionner, les extrêmes redeviennent des extrêmes et ont moins de chance de prospérer », développe-t-il. D’autant que l’Occident, et les Américains en tête, n’entend pas leur laisser la moindre opportunité. Washington a ainsi mené « des dizaines de frappes aériennes » sur « plus de 75 cibles » de Daesh dimanche. Une « intervention très significative qui atteste de la fermeté des Etats-Unis à ne pas laisser la moindre respiration à l’EI pour se reconstituer », estime Laurence Bindner.