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Syrie : Après les violences contre la communauté druze, le pays peut-il à nouveau sombrer dans la guerre civile ?

Quelques mois à peine après le départ de Bachar al-Assad, Damas connaît à nouveau le feu et le sang. Après deux jours de violences visant la communauté druze dans le sud du pays, la capitale syrienne a été frappée par un bombardement israélien aux abords du palais présidentiel, ce vendredi. Une « dangereuse escalade » pour la nouvelle présidence syrienne. Mais l’intervention de l’Etat hébreu ne fait que s’ajouter à des violences quasi continues depuis le mois de décembre.

Début mars, des affrontements entre forces du régime et milices alaouites avaient conduit à de véritables massacres, ayant fait plus de 1.700 morts. Depuis lundi, la communauté druze compte déjà au moins 102 victimes, selon des ONG. Pourquoi ce regain de violences entre les différentes composantes de la société syrienne ? Que vient faire Israël dans cette histoire ? Quelles peuvent être les conséquences à terme pour le destin politique de la Syrie ? 20 Minutes fait le point avec Adel Bakawan, directeur du European Institute for Studies on the Middle East and North Africa.

Qui sont les Druzes et pourquoi sont-ils ciblés ?

Parmi les multiples courants religieux que l’on trouve en Syrie, les Druzes forment « l’une des composantes les plus importantes de la société syrienne », explique Adel Bakawan. Musulmans issus d’une branche de l’islam chiite, « ils ont leur propre système de valeurs, de rapport à la religion », comme les Alaouites et les Ismaéliens. Ce qui « dans le logiciel des sunnites radicaux, les place en acteurs déviants de l’islam », et fait donc peser sur eux les soupçons du nouveau pouvoir en place.

Alors quand un enregistrement audio insultant Mahomet, faussement attribué à Marwan Kiman, un responsable druze, a été diffusé sur les réseaux sociaux, des groupes sunnites s’en sont rapidement pris à cette communauté de 700.000 personnes. Et ce, malgré le démenti du pouvoir en place sur l’origine de l’audio. « Dans le contexte d’un Etat stable, on va arrêter la personne et la justice fait son travail. Mais là, c’est une jungle », dénonce l’auteur de La décomposition du Moyen-Orient, à paraître aux éditions Tallandier.

Que vient faire Israël dans cette histoire ?

L’intervention d’Israël dans ce qui semble être un conflit interne à la Syrie s’explique par au moins deux facteurs. D’abord, « dans la Syrie post-Bachar, Israël ne souhaite pas voir un Etat fort géré par un ex-djihadiste qui deviendrait une menace pour sa sécurité », clarifie Adel Bakawan. Mais s’arrêter à cette explication, déjà déterminante dans les rapports qu’entretien Israël avec ses voisins, reviendrait à « oublier que 150.000 Druzes vivent en Israël, où ils forment une communauté très structurée et bien intégrée dans l’armée, la police, toutes les couches de l’Etat ».

Aussi, Israël se revendique comme « protecteur de la communauté druze » en Syrie. Après les bombardements à proximité du palais présidentiel, Benyamin Netanyahou a déclaré avoir « envoyé un message très clair » à Ahmad al-Chareh. Il promet d’agir « avec force » si le gouvernement syrien ne protège pas les Druzes. Une nouvelle intervention israélienne serait « encore plus brutale », estime Adel Bakawan.

Quelles peuvent être les conséquences pour l’avenir politique du pays ?

Avec ce nouvel épisode de violences contre une minorité en deux mois, le sociologue n’est « pas très optimiste ». « On est dans un pays avec 500 milices armées, 7 millions de déplacés, un taux de pauvreté de 90 % et un Etat encore sous sanctions internationales et partiellement occupé par la Turquie et Israël, et avec une présence militaire américaine et russe. » Le tableau comporte d’évidentes lignes de tensions. « Les Kurdes se préparent aussi à des attaques de Damas. Ils ont élaboré dans une conférence un récit commun pour demander de créer une entité kurde décentralisée, en réponse Damas a envoyé plusieurs brigades de l’armée dans la région », précise Adel Bakawan.

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Il y a donc un vrai enjeu de stabilité sur la « vision de la gestion des minorités dans la Syrie post-Bachar ». Et sauf « miracle apportant un nouveau paradigme avec une vraie ouverture sur toutes les composantes de la société », la Syrie fonce droit vers deux destins : une nouvelle guerre civile, ou bien (ou après cette guerre) « une division du pays avec un Etat druze sous protection israélienne, un Etat sunnite, un Etat alaouite sous protection russe et un Etat kurde », probablement sous protection occidentale mais qui sera aussi menacé par la Turquie.