France

Surpopulation, punaises… L’ « abandon » des lieux de privation de liberté

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a présenté ce jeudi son rapport annuel. Les informations qu’il contient « ont été recoupées comme ont dit dans le journalisme, et objectivées comme on dit dans l’administration », a expliqué lors de la conférence de presse, l’ancienne chroniqueuse judiciaire du Canard enchaîné, qui a pris la tête de cette autorité administrative à l’automne 2020. Dans ce document de 188 pages, basé sur les visites effectuées par cinq équipes en 2022, elle dénonce « un abandon général des lieux d’enfermement qui concerne aussi bien le personnel que les gens privés de libertés ». Prison surpeuplée, problème d’hygiène, violence… 20 Minutes fait le point sur ce qu’il faut retenir.

Une surpopulation carcérale record

73.080 détenus pour 60.899 places. Un nouveau pic historique a été atteint dans les prisons françaises en avril. Dans les maisons d’arrêt, le taux d’occupation moyen grimpe à 142,2 %. Les détenus doivent souvent vivre « à trois par cellule, 21 heures sur 24 avec moins d’1 m2 d’espace vital par personne ». « Quand je suis rentrée dans une cellule, les détenus m’ont dit de ne pas m’asseoir et m’ont montré leurs bras dévorés de piqûres de punaises de lit. En regardant par la fenêtre, on voit des rats, des chats errants, ça pue partout », raconte l’ancienne chroniqueuse judiciaire.

Au-delà même des conditions de vie, cette surpopulation complique « l’accès à la formation, l’accès aux soins, l’accès à l’enseignement, au travail… il y a trop de monde ». Elle est « source de violences et de tensions ».

Elle tance la « solution avancée par l’Etat » pour lutter contre la surpopulation carcérale : la construction de 15.000 nouvelles places de prison d’ici 2027. « C’est une promesse déjà faite par je ne sais combien de présidents de la République », note-t-elle. La prison de Lutterbach, par exemple, a ouvert ses portes en décembre 2021… et est « déjà pleine à 190 % ». « C’est donc la preuve que plus on construit, plus on remplit. »

L’insalubrité des locaux de garde à vue

En 2022, la CGLPL a visité 44 locaux de garde à vue. Dans son rapport, elle dénonce « le manque d’hygiène » des cellules, même dans les commissariats les plus récents. « Il faut avoir le cœur bien accroché pour s’asseoir dans une cellule, partagée par plusieurs personnes, sans toilettes, ou alors avec la chasse d’eau qui ne marche pas », décrit-elle. On y trouve, souvent en nombre insuffisant, « des matelas qui ne sont pas désinfectés entre deux gardés à vue, des couvertures immondes qui servent à plusieurs ».

Dans son rapport, elle s’inquiète également du retrait presque systématique des lunettes et des soutiens-gorge des personnes retenues, ce qui place, écrit-elle, « la personne entendue dans une situation humiliante qui pèse sur sa capacité à se défendre ». Elle remarque aussi que l’accès au médecin « est plus ou moins facile selon les territoires visités ». Autre point d’inquiétude : la vidéosurveillance dont l’usage se répand, « parfois sans précaution ». Il n’est ainsi pas rare que des toilettes soient dans le champ des caméras ».

Des centres éducatifs fermés aux méthodes très variables

Les équipes du CGLPL ont visité, en 2022, trois centres éducatifs fermés (CEF). « C’est la dernière marche avant les prisons », résume Dominique Simonnot. « On en visite beaucoup. Certains sont extraordinaires, avec des équipes pérennes qui encadrent vraiment les gamins, où on apprend des métiers. On voit que ça se passe bien. Mais dans d’autres, on a trouvé des gamins à l’abandon, fumant du shit dans leur chambre en jouant à la PlayStation », assure-t-elle. Elle raconte, lors de cette conférence de presse, avoir découvert que deux personnes, qui travaillaient dans une boîte de nuit fermée au moment de la crise sanitaire, ont été embauchées comme éducateurs dans un CEF. « Dès qu’un gosse faisait une connerie, il recevait une patate. »

Dans son rapport, elle énumère les problèmes observés dans ces centres : « Manque de personnel formé, violence, racket, drogue, délaissement. Certains en viennent à fermer. Puis à rouvrir, puis à refermer. » Et l’ancienne journaliste de conclure : « Avant de créer d’autres CEF, peut-être faudrait-il mieux y réfléchir ? Il est une évidence de dire que les enfants sont notre avenir. Comment est-il pensable d’ainsi les délaisser ? »

La promiscuité des centres de rétention administrative

En 2022, le CGLPL a visité quatre centres de rétention administrative (CRA), où sont placés les étrangers en voie d’expulsion. Là aussi, elle dénonce dans son rapport le manque d’entretien et d’hygiène des locaux. « Il y a des bagarres, des rixes… Les policiers n’interviennent pas car ils ont peur. Les conditions d’enfermement sont lamentables. La nuit les portes ne ferment pas, alors les gens tendent des draps qu’ils essaient d’accrocher avec du dentifrice. » La Cour des comptes, dit-elle, a évalué le montant de la rétention d’une personne à 690 euros par jour. Pourtant, les retenus, qui « vivent dans l’angoisse », « se plaignent d’avoir faim », et « il n’y a rien pour se distraire ».

La rétention « doit durer le temps strictement nécessaire à l’éloignement », rappelle Dominique Simonnot. « Mais il y a très peu d’éloignements car les pays d’origine ne reprennent pas leurs ressortissants. C’est un exercice de diplomatie difficile à tenir ».