France

Suicide de Lucas, 13 ans : « C’était tous les jours, des insultes, des humiliations »… Anatomie d’un harcèlement

Chaque jour – chaque minute presque –, Séverine Vermard revit cette journée du 7 janvier 2023. Ce petit-déjeuner partagé à la va-vite avec son fils Lucas, au cours duquel elle lui rappelle qu’il est privé de son cours de hip-hop pour être rentré avec une heure de retard la veille. Les mots de ce dernier – « Travaille bien, maman. Je t’aime » – avant qu’elle n’attrape à la volée son bus de 9h20 pour se rendre au travail. Et cet appel raté de son ex-compagnon, suivi d’un SMS. « Urgent, réponds. Lucas a fait une tentative. » A peine arrivée chez elle, elle découvre son appartement cerné de camions de pompiers et du SAMU. Il est trop tard. Lucas, découvert par sa petite sœur pendu au barreau de son lit superposé, est déjà décédé. A 13 ans.

« Dès que j’entends les sirènes dans la rue, ou même lorsque mon téléphone sonne, je vais avoir une montée d’angoisse. Je sais que c’est irrationnel mais ça me rappelle cette journée », confie d’une voix claire cette mère de famille, qui dit tenir pour ses deux autres enfants. Dans un livre paru le 8 janvier – Lucas, Symbole malgré lui * – elle retrace l’engrenage qui a conduit au drame et comment ce « petit clown », « souriant et rayonnant », a peu à peu sombré, victime de harcèlement scolaire sur fond d’homophobie.

« Il était aimé de tous et accepté pour ce qu’il était »

Tout commence un an avant le drame. En janvier 2022, la famille quitte le petit village vosgien dans lequel elle réside depuis une dizaine d’années pour Golbey, une commune un petit peu plus conséquente, situé à quelques kilomètres. Jusqu’alors, le garçonnet n’avait jamais connu de raillerie. Son look, que sa mère décrit volontiers comme « excentrique », ou ses facéties sont acceptés de tous. Même son coming-out à l’âge de 11 ans ne fait pas de vague. « Il était aimé et accepté pour ce qu’il était. Ce n’était même pas une question. Même son entrée au collège n’a pas posé le moindre problème », retrace Séverine Vermard.

Séverine Vermard, lors de la marche blanche en hommage à son fils, Lucas, 13 ans.
Séverine Vermard, lors de la marche blanche en hommage à son fils, Lucas, 13 ans.  - Jean-Christophe Verhaegen

Mais dans son nouvel établissement, il est rapidement pris en grippe par un petit groupe de collégiens. Deux filles et deux garçons. Selon le récit de sa mère, les insultes et les moqueries sont quotidiennes. « Sale pédé », « tapette », « cassos »… Lucas a beau s’être rapidement recréé un groupe d’amis, être très entouré, ce harcèlement l’atteint profondément. « Lucas ne s’est jamais caché du fait qu’il était homosexuel. L’attaquer là-dessus, c’était vraiment remettre en question qui il était », insiste-t-elle. L’adolescent refuse que sa famille s’en mêle, de peur que la situation ne s’envenime. « Ça se calme un peu avant l’été, je me dis que le plus dur est derrière nous. Les vacances se passent bien, il est très heureux, il a un petit copain, il est souriant. Mais dès la rentrée, tout repart de plus belle », insiste Séverine Vermard.

« Il portait un masque à l’école »

Lucas est alors en 4e. Au collège, il donne le change : il est inscrit à plusieurs ateliers proposés par l’établissement, a de bonnes notes, est entouré d’une bande d’amis, multiplie les activités extrascolaires… Mais à la maison, il se renferme, répond, ne respecte plus les horaires. Sa mère croit d’abord à une crise d’adolescence. « Il portait un masque à l’école et se lâchait à la maison car il savait qu’il n’avait rien à craindre », poursuit la quadragénaire. Lucas lui confie être toujours victime de harcèlement de la part des mêmes élèves. « Il n’avait pas de téléphone donc ce n’était pas du cyberharcèlement, ni même des violences physiques. Mais c’était tous les jours, tout le temps, des insultes, des humiliations. »

Cette fois, elle prend attache avec son professeur principal, qui prend la situation au sérieux. Il écrit à tous les enseignants de Lucas pour les mettre au courant de la situation. Elle appelle également à plusieurs reprises la CPE mais selon son récit, le discours est bien moins compréhensif. « Elle m’a dit qu’elle allait s’en occuper mais me parlait de chamailleries », déplore Séverine Vermard, qui ne cache pas sa « colère » vis-à-vis de l’institution. Au cours de la procédure, elle a découvert que seule une des quatre familles des adolescents concernés avait été informée. Désemparée, elle envisage de se rendre au commissariat puis finit par contacter une assistante sociale. L’adolescent mettra fin à ses jours avant que cette dernière n’ait pu intervenir.

Enquête administrative et cassation

Fin décembre, près de deux ans après les faits, l’enquête administrative a conclu que Lucas a bien été victime de harcèlement même si la dimension homophobe n’a pas été évoquée dans le rapport. Une première victoire pour sa mère. « Ça prouve qu’il n’a rien inventé, que ce n’était pas « juste » des moqueries », insiste-t-elle. Sur le plan judiciaire, l’affaire est plus sinueuse. Les quatre ados ont été condamnés en première instance pour harcèlement, sans que le lien avec le suicide de Lucas ne soit établi, puis ont été relaxés en appel. Le parquet et la famille se sont pourvus en cassation.

Notre dossier sur le harcèlement scolaire

En attendant, Séverine Vermard a décidé de faire de la lutte contre le harcèlement scolaire son combat. Elle a monté une association, Lunah, qui fait notamment de la prévention dans les écoles. Un projet né des centaines de témoignages de parents, mais également d’ados, lui confiant après la mort de Lucas s’être reconnus dans son histoire. « Je ne veux plus qu’il y ait d’autres Lucas. Le harcèlement est un fléau, je souhaite que notre histoire puisse servir à d’autres », insiste-t-elle.

* « Lucas, symbole malgré lui » par Séverine Vermard, Harper Collins, 18,90 euros.