France

Strasbourg : C’est quoi ce micmac avec le rayon vert de la cathédrale ?

Le suspense n’aura duré que quelques jours, comme promis par le tribunal administratif de Strasbourg. Savoir si oui ou non le rayon vert allait pouvoir réapparaître dans la cathédrale alsacienne lors du prochain équinoxe de printemps, le 20 mars. Ce vendredi, le tribunal a indiqué que le rayon, trait de lumière qui, lorsqu’il fait beau, passe par le pied de Juda (le fils de Jacob) représenté sur un vitrail vert clair du côté sud de l’édifice religieux.

Ce vendredi, le tribunal devait se prononcer sur le sort d’une patine apposée il y a un an lors de travaux réalisés par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). Une patine qui obstrue la partie du vitrail à l’origine du rayon illuminant en bout de course le corps du Christ qui orne la chaire à 11h38 lors des équinoxes. Selon le tribunal, ce rayon n’ayant « pas été voulu par les concepteurs de la cathédrale », l’Etat n’a « pas méconnu ses obligations de conservation d’un monument historique ». Il n’est donc « pas obligé de rétablir ce rayon vert ».

« La décision qui a été prise est un mépris du public »

« C’est écœurant », a d’emblée confié à 20 Minutes Maurice Rosart. L’ingénieur géomètre, découvreur et fervent défenseur du rayon vert, avait saisi, avec l’avocat Maître Julien Laurent, le tribunal administratif de Strasbourg. « Je constate que l’administration demande des preuves. Mais prouver ici que Gustave Klotz (l’un des architectes de la cathédrale) voulait le rayon vert, ça me semble difficile », ironise Maurice Rosart. L’octogénaire poursuit expliquant qu’il aurait « préféré que l’on rétablisse le rayon vert, tout en lançant les études et recherches nécessaires », pour voir d’où il vient. « La décision qui a été prise est un mépris du public », rage encore l’ingénieur.

Maurice Rosart (à gauche) et Maître Julien Laurent souhaitent le retour du rayon vert dans la cathédrale de Strasbourg, le 14 mars 2023.
Maurice Rosart (à gauche) et Maître Julien Laurent souhaitent le retour du rayon vert dans la cathédrale de Strasbourg, le 14 mars 2023. – G. Varela / 20 Minutes

Le rayon vert ne réapparaîtra donc pas ce lundi. Exit ce trait de couleur qui pendant six jours, à 11h38, avec plus ou moins de force, illuminait le Christ avant de disparaître au septième (jour de la création, comme le faisaient remarquer certains). Et ce « stop » mis par le tribunal administratif devrait en décevoir plus d’un. Nombreux étaient effectivement les amateurs d’architecture religieuse ou de symboles et les touristes à venir observer le fameux rayon disparu en mars 2022, à la suite de la pose de cette patine.

Depuis, les défenseurs du rayon vert s’étaient mobilisés. Le recours en justice mené par Me Julien Laurent, également à l’initiative d’une pétition qui compte près de 3.900 signatures aujourd’hui, n’aura pas suffi. Reste que Maurice Rosart ne compte pas lâcher affaire. Lui qui en connaît un rayon sur le sujet depuis 1967, date du début de ses recherches

« Je l’ai cherché et je l’ai trouvé, se rappelle Maurice Rosart. Je savais qu’à Chartres ils ont un rayon aux solstices d’été. Je me suis dit qu’ici, on n’était pas plus bête qu’eux et qu’il devait y avoir l’équivalent à Strasbourg, confie à 20 Minutes l’auteur d’un livre en trois éditions, Une cathédrale se dévoile. Au départ je cherchai aux solstices d’été, comme à Chartres, mais comme je ne trouvais rien, je me suis reporté sur les équinoxes, et, bim boum, j’ai trouvé le rayon vert. »

« C’est un peu le bazar devant la cathédrale »

Nous étions en 1972. Et il lui faudra attendre 1984 (plusieurs années de vérifications « pour être sûr de son coup et ne pas se faire enguirlander ») pour annoncer officiellement la découverte. « Devant 1.000 personnes dont un parterre de journalistes réunis pour l’occasion », Maurice Rosart évoqua alors le rayon vert, 11h38, la chaire, le Christ. Un succès et un « soulagement, se félicite-t-il encore, le soleil étant au rendez-vous ». Depuis « le grand public l’admire et se pose des questions », assure Maurice Rosart. Chacun trouvant sa propre réponse. Celle de l’ingénieur étant « l’action de la lumière sur la chaire et la chair ».

Reste que ce fameux rayon vert « perturbe l’entrée de la cathédrale au moment où il faut payer trois euros pour aller voir l’horloge astronomique ». « Les visiteurs qui viennent pour le rayon vert et pas pour l’horloge refusent de payer les trois euros. Donc, en période d’équinoxe, c’est un peu le bazar devant la cathédrale », avance Maurice Rosart qui rappelle également qu’un cache avait déjà été posé sur le vitrail vert en 1990 avant que l’installation d’un projecteur juste devant le faisceau lumineux ne coupe sa trajectoire en 2004.

Mardi encore, après l’audience au tribunal administratif, Maurice Rosart et son conseil voyait encore l’horizon s’éclaircir pour ce rayon. Ce matin-là, les questions avaient surtout porté sur la nécessité et la légalité de faire des travaux de cette nature sur le vitrail. La patine avait été faite dans la précipitation ou dans l’attente d’un plan global de restauration des vitraux de la partie sud de la cathédrale ? Un plan qui serait à l’étude, avait indiqué la Drac.

Si l’Etat avait affirmé que ce phénomène n’avait rien d’historique, Me Laurent et Maurice Rosart avaient pour leur part rappelé l’attachement local au rayon vert. Il « est devenu historique. Il s’est popularisé et participe au rayonnement de la cathédrale et de Strasbourg », avait argumenté l’avocat avant de trancher : « venir à le supprimer contribuerait à dévaloriser l’édifice ». « Si des études sont en cours pour décider de la nature de la rénovation qu’il convient de faire, la vraie question qui se pose est alors : pourquoi avoir mis en place un dispositif provisoire qui tendrait uniquement à supprimer le rayon vert ? C’est incompréhensible », s’était également interrogé Me Laurent.

Ce vendredi, Maurice Rosart a indiqué qu’il allait faire appel de la décision. « C’est déjà emmanché », a lâché l’historien à 20 Minutes qui espère bien à présent, voir de retour le rayon vert lors de l’équinoxe… d’hiver.