Sportives voilées : Exclues des matchs, elles se sentent « humiliées », et traitées « comme des pestiférées »

Les chaussures de sport crissent sur le parquet du gymnase des Obiers, à Nogent-sur-Oise dans les Hauts-de-France. Une dizaine de filles de moins de 19 ans travaillent leur défense, ce soir d’avril, avec Audrey Devaux, 24 ans. Passionnée depuis ses dix ans de basket-ball, elle a rejoint l’entraînement en dehors de sa catégorie, pour le plaisir. Pourtant, depuis 2022, elle ne peut plus jouer en compétition. La raison ? Elle porte le voile, un couvre-chef interdit par la Fédération française de basket-ball (FFBB), qui a durci ses règles depuis trois ans, de sa propre initiative, avant que le politique n’embraye.
En février 2025, le Sénat a adopté une proposition de loi qui obligerait toutes les fédérations sportives à appliquer ce type de règlement pour « assurer le respect du principe de laïcité dans le sport ». Si l’Assemblée nationale la vote, le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse serait interdite lors des compétitions. Dans un tweet, le Premier ministre François Bayrou avait confirmé la volonté de l’exécutif de l’inscrire à l’ordre du jour, sans en préciser le calendrier. Et le 13 mai sur TF1, Emmanuel Macron s’est aussi prononcé contre le port de signes religieux dans les compétitions sportives.
« Un acharnement » contre les musulmans
Pour les joueuses du collectif Basket pour toutes, créé en novembre 2023, cette proposition de loi est « islamophobe et injuste ». Convertie à l’islam il y a cinq ans, Audrey Devaux porte le voile depuis 2023, peu de temps après l’interdiction de couvre-chef par la FFBB. Elle estime que ce texte exclut des sports « une partie des femmes, en s’acharnant sur une catégorie [les musulmans] ». Elle-même a vécu plusieurs situations discriminatoires dans sa pratique du basket-ball.
« On a commencé à me faire des petits rappels, se souvient-elle. On m’a dit : « Attention, ce que tu portes là, en entraînement, pas de soucis, mais en compétition, c’est compliqué. » » Elle a d’abord décidé d’enlever son voile puis de le remettre à la sortie du gymnase, mais elle trouvait cette position « contradictoire » avec ses convictions religieuses et a voulu le porter « à 100 % ». « Et c’est là que ça m’a bloquée », raconte-t-elle.
Si elle peut participer aux entraînements de son club à Nogent-sur-Oise où elle porte un voile homologué, il ne lui est pas possible de jouer lors des matchs le week-end. « C’est frustrant, parce que tu travailles toute la semaine et, au final, tu ne peux pas l’appliquer le jour J », s’émeut Audrey Devaux, qui a décidé d’adhérer au collectif cette année pour faire valoir ses droits. Une discrimination de plus pour celle qui rappelle qu’il « n’est pas facile en 2025, d’être une femme, d’être noire, de porter un voile ». Elle a arrêté les matchs, mais a voulu continuer à travailler sa vision de jeu en coachant une équipe.
Des règles disproportionnées et discriminatoires pour des experts de l’ONU
D’autres fédérations sportives ont aussi interdit le port du voile, comme celle de football. Des mesures que des experts de l’ONU ont jugées disproportionnées et discriminatoires en novembre 2024, contrairement à la décision du Conseil d’Etat. Saisis par deux associations en désaccord avec la FFF, les magistrats français ont jugé que les fédérations sportives pouvaient imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions dans le but d’assurer « le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ».
Mais les experts de l’ONU estiment que « la neutralité et la laïcité de l’État ne sont pas des motifs légitimes d’imposition de restrictions des droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion ». Ils demandent l’annulation de ces interdictions « dans un contexte d’intolérance et de fortes stigmatisations » des femmes et filles choisissant de porter le hijab. Contactée, la FFBB indique appliquer seulement les règlements qu’elle met en place et ne souhaite pas commenter cet avis.
« Je ne suis plus qu’un foulard »
Pour Morgane, 31 ans, qui travaille dans le secteur bancaire et souhaite rester anonyme, l’interdiction de couvre-chef à connotation religieuse l’a aussi obligée à arrêter la compétition. Pourtant, depuis plus de vingt ans, le basket occupait une place centrale dans sa vie. Convertie à l’islam il y a une dizaine d’années, elle défend un choix qu’elle a fait seule au printemps 2024, « une liberté » prise par pudeur, dit-elle. « Tant que je ne le portais pas, je ne me rendais pas compte à quel point ça nous touchait, affirme-t-elle. Je suis blanche, blonde aux yeux bleus et, maintenant, je ne suis plus qu’un foulard. »
Rapidement, elle a été confrontée à une situation d’exclusion sur un terrain de basket. Au cours d’un match de son équipe auquel elle ne participait pas, elle annonce à ses coéquipières qu’elle portera désormais le voile.
« Je me sentais très, très mal et humiliée »
La tête recouverte d’un bandeau et d’un sweat à capuche, elle rejoint ensuite le banc de son équipe. Quand l’arbitre siffle la reprise, le coach va la voir et lui enjoint de quitter ce banc « à cause de son voile », demande appuyée par l’arbitre. « Je me suis retrouvée comme dans une bulle, se souvient-elle, toujours marquée. Je n’entendais plus trop ce qui se disait. Je me sentais très, très mal et humiliée. »
Son coach l’installe sur une chaise à côté. Cette situation révolte les joueuses : une coéquipière se met en colère contre l’arbitre et écope d’une faute technique, concédant à l’équipe adverse un lancer franc. Jusqu’à la fin du match, Morgane reste assise sur sa chaise, à un mètre du banc « un peu comme une pestiférée », s’indigne-t-elle. Elle a rejoint depuis le club de Nogent-sur-Oise où elle continue de s’entraîner sans pouvoir participer aux compétitions.
Notre dossier sur l’islamophobie
A Ivry-sur-Seine, au sud de Paris, Assia Verhoeven raconte le même sentiment d’injustice et d’inquiétude. En tant que joueuse, la jeune femme de 25 ans dit avoir arrêté de se présenter lors des matchs en novembre 2022. « Ça devenait oppressant, souligne-t-elle. Quand j’arrivais, je me demandais : « Est-ce qu’on va me laisser jouer aujourd’hui ou pas ? ». J’étais plus préoccupée par ça que par le jeu. » Pour continuer la compétition, elle a cherché d’autres formats comme les journées de tournoi de Basket pour toutes, et s’est tournée vers le coaching. Où elle a dû affronter de nouvelles situations d’exclusion…