« Spaggiari et la bande des égoutiers ayant dévalisé la Société générale à Nice »
Au beau milieu de l’été 1976, des policiers de l’office central pour la répression du banditisme sont descendus sur la Côte d’Azur pour aider les policiers niçois à enquêter sur un cambriolage du siège de la Société générale, évalué à 50 millions de francs. Albert Spaggiari, considéré comme le cerveau du cambriolage, est arrêté dès son retour en France, le 27 juin 1976, où les enquêteurs découvrent des pains de dynamite et des armes chez lui à Bézaudun-les-Alpes.
Pas de repos pour les agents de l’office central pour la répression du banditisme. Au cœur de l’été 1976, ils se rendent sur la Côte d’Azur pour prêter main-forte aux policiers niçois, chargés d’enquêter sur un cambriolage spectaculaire. Celui du siège de l’agence de la Société générale, située sur l’avenue Jean Médecin. « Un « coup » monumental », titre en une le journal *Nice Matin*. « A la fois égoutiers, terrassiers et soudeurs », les « casseurs » ont emporté un « butin fabuleux » évalué à 50 millions de francs, soit près de 38 millions d’euros, précise le journal local. Les clients sont paniqués. Ils ne peuvent pas croire que des voleurs aient réussi à entrer dans la salle des coffres de la banque, réputée pour son inviolabilité.
Les malfaiteurs sont entrés le week-end précédent par un tunnel long de 8 mètres et de 50 centimètres de diamètre, débouchant sur les égouts de la ville. Profitant de l’absence du personnel, ils ont réussi à fracturer 317 coffres et à les vider de leur contenu. Ils ont dérobé des bijoux, de l’argent liquide et des lingots d’or, laissant derrière eux tout ce qui n’avait aucune valeur. Avant de partir, ils ont pris le temps de souder la porte de la salle des coffres de l’intérieur, laissant derrière eux un mot griffonné sur une feuille de papier, scotchée à un mur : « ni armes ni violence et sans haine ».
### Perceuses, burins et bouteilles d’acétylène
Les malfaiteurs sont repartis par le même chemin, traversant le tunnel creusé dans la roche puis déambulant sur près de 3 kilomètres dans les canalisations chaudes et nauséabondes de Nice, grouillantes de rats. En fuyant, ils se sont débarrassés de leurs outils : lampes, chalumeaux, perceuses, burins, bouteilles d’oxygène et d’acétylène, ainsi que des câbles électriques. Ils ont suivi la rivière souterraine du Paillon et sont sortis à l’air libre derrière le Palais des expositions de la ville.
Les enquêteurs suspectent rapidement une bande de voyous marseillais d’être impliqués dans cette affaire. À l’époque, Charles Pellegrini* est adjoint du chef de l’OCRB. Pour lui, le « casse du siècle », comme le désignent les médias, ne pouvait être l’œuvre que malfrats chevronnés tels que « Zampa ou Jacky Le Mat ». « C’est vrai qu’on a pensé au milieu marseillais. À partir du moment où il y a un cambriolage de cette ampleur, on cherche parmi les têtes », déclare-t-il à *20 Minutes*. Les policiers interrogent durant plusieurs semaines tous leurs indicateurs, mais la piste ne donne rien.
La chance tourne enfin en leur faveur. Deux hommes, Francis Pellegrin et Alain Bournat, tentent de négocier huit lingots d’or provenant du casse auprès d’une banque. « Heureusement que les voyous ne sont pas des lumières sinon on n’aurait jamais de succès ! » plaisante Charles Pellegrini. Interpellés, les deux hommes dénoncent aux policiers le cerveau du cambriolage : Albert Spaggiari.
### « Un besoin énorme de prendre la lumière »
« À partir du moment où on a eu son nom, on a commencé à travailler sur lui et son passé est alors remonté à la surface. Il a commencé par un braquage dans un bordel pendant la guerre en Indochine en 1953. Ensuite, il a été membre de l’OAS. Il a eu une vie assez médiocre comme photographe, il aimait les armes, et on a retrouvé beaucoup d’armes chez lui. On s’est dit qu’il avait pris de l’envergure », poursuit l’ancien adjoint du chef de l’OCRB.
Albert Spaggiari est alors en voyage au Japon. Les enquêteurs l’arrêtent dès son retour en France, le 27 juin 1976. Dans l’ancienne bergerie qu’il a rénovée à Bézaudun-les-Alpes, ils mettent la main sur des pains de dynamite, des pistolets automatiques et des chargeurs de pistolet-mitrailleur. Il a nommé son repaire « Les oies sauvages », en hommage à un chant militaire nazi.
Albert Spaggiari demande à s’entretenir directement avec Honoré Gévaudan, alors directeur adjoint de la police judiciaire. Devant lui, il passe aux aveux. « L’idée lui est venue parce que c’est un monsieur qui voulait de l’argent. C’est un monsieur qui a fait des recherches, qui a regardé d’abord dans la Société générale elle-même, puis dans les égouts. Tout ça, c’est une idée qui lui est venue il y a deux ans ou un an et demi, et la réalisation est venue très tard », déclare ensuite le policier lors d’une conférence de presse. Par la suite, le malfrat assure avoir agi pour des raisons politiques, affirmant que le butin devait financer une mystérieuse organisation d’extrême droite nommée « Catena ».
« Je ne sais pas s’il en a eu l’idée, et personne ne le saura jamais. Mais Albert Spaggiari s’en est attribué le mérite. Et il faut démystifier un peu tout ça », souffle aujourd’hui Charles Pellegrini. « Il avait un fond de guerrier et il était courageux, on ne peut pas lui enlever ça. Mais il était aussi très vaniteux et avait un besoin énorme de prendre la lumière. On a toujours eu en tête l’idée que c’était un fanfaron et qu’il avait pris un melon gigantesque. Ce n’était pas un nul, loin de là. Il a fait pas mal de choses. Mais ce braquage, ça a été un travail de longue haleine qui a failli capoter plusieurs fois. Ils ont réussi parce qu’ils ont eu de la chance. Il n’aurait rien pu faire sans la bande de voyous marseillais qu’il a recrutée, qui l’ont cru et qui ont fait le boulot. »
### 12 ans de cavale
Placé en détention, Albert Spaggiari compte bien s’évader. Interrogé par le juge d’instruction le 10 mars 1977 dans un bureau du palais de justice de Nice, le voyou saisit sa chance. Il se précipite vers la fenêtre et saute sur le toit d’une voiture. Dans la rue, un complice l’attend sur une moto. Les deux hommes prennent la fuite. « C’est quand même un personnage très contrasté. Il peut se montrer efficace, volontaire et capable de réussir un exploit : son évasion du tribunal, ce n’est pas donné à tous les voyous », souligne Charles Pellegrini.
Sa cavale va durer douze ans. Avec ses faux papiers et ses déguisements, le visage refait, Albert Spaggiari voyage au Brésil, en Argentine ou au Chili et revient régulièrement en France. Il en profite pour narguer les enquêteurs à ses trousses en multipliant les interviews accordées à *Paris Match* ou au *Figaro Magazine*. En 1983, depuis Madrid, il déclare devant la caméra d’un journaliste vouloir « continuer à fumer des Havane, boire du Dom Pérignon, avec les plus belles filles du monde, dans les plus beaux coins du monde, et voyager ». « J’aimerais passer aux assises si je trouve une demi-douzaine d’avocats assez enragés, assez fous pour prendre le contrepied de la justice », ose-t-il, lunettes de soleil sur le nez, cigare à la main.
### Le procès du « casse du siècle »
Le procès du « casse du siècle » se déroule à la fin de l’année 1979, en l’absence du principal accusé. Trois hommes, dont Francis Pellegrin et Alain Bournat, sont condamnés à de faibles peines pour « complicité de vol ». Albert Spaggiari, lui, est condamné par contumace à la réclusion à perpétuité.
### « Les égouts du paradis »
En fuite, il écrit des livres. En 1978, il publie aux éditions Albin Michel *Les égouts du paradis*, le récit du cambriolage de la Société générale de Nice. Albert Spaggiari raconte avoir eu l’idée du casse en lisant le roman policier *Tous à l’égout !* de Robert Pollock. Un employé de la Société générale lui a ensuite révélé qu’aucun système d’alarme n’avait été installé dans la salle des coffres de la banque. Pour en avoir le cœur net, il en a loué un, dans lequel il a placé un réveil qui sonnait durant la nuit. Lorsqu’il a été assuré qu’il n’y avait aucun système de détection sismique ou acoustique, il a exploré les égouts de Nice et constitué une équipe. Creuser le tunnel leur a pris trois mois.
À l’occasion de la sortie de son troisième livre, *Le Journal d’une truffe*, il accorde en mai 1983 une improbable interview à Bernard Pivot dans une chambre d’hôtel à Milan. « Comment expliquez-vous que vous soyez devenu un voleur, un bandit ? » lui demande le présentateur de l’émission *Apostrophe*. « Le goût de l’exploit, tout simplement », répond Albert Spaggiari.
### Un butin jamais retrouvé
Le 10 juin 1989, les policiers de l’identité judiciaire se rendent chez Marcelle Clément à Hyères, dans le Var. La veille, deux hommes cagoulés ont déposé le corps de son fils devant la villa, rue Paradis, avant de s’enfuir. Marcelle ne l’avait pas vu depuis douze ans. Cet homme, c’est Albert Spaggiari, le fugitif le plus recherché du pays. Atteint d’un cancer, il est décédé deux jours plus tôt à Belluno, en Italie. Le butin du casse du siècle n’a jamais été retrouvé.
* « Histoire de PJ », de Charles Pellegrini, la Manufacture De Livres *

