France

Soupçons de financement libyen : Tout comprendre au procès de Nicolas Sarkozy qui s’ouvre ce lundi

Dix ans d’enquête, 54 perquisitions, 22 recours, 73 tomes de procédure. Et surtout 12 prévenus, dont trois anciens ministres de droite et un ex-chef d’Etat. A partir de ce lundi, la justice se penche sur l’affaire des soupçons de financement libyens de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Durant 13 semaines, les juges vont tenter de cerner les mécanismes complexes mis en place par des proches de l’ancien président de la République, avec son aval, pour dépenser l’argent que lui aurait donné Mouammar Kadhafi en échange de « contreparties » françaises.

Une « fable », selon Nicolas Sarkozy qui conteste les accusations. Lors d’un interrogatoire, il a estimé qu’il n’y avait « pas même un début de commencement de preuve ». Alors que débute ce procès tentaculaire, 20 Minutes vous explique tout.

Quelles sont les grandes dates de l’affaire ?

  • Mars 2011. Une agence de presse libyenne indique que le régime de Tripoli s’apprête à révéler « un secret de nature à mettre en péril la carrière politique du chef de l’Etat français ». Quelques jours plus tard, Mouammar Kadhafi et son fils, Saïf Al Islam, affirment dans la presse que la Libye aurait financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
  • Mars 2012. Le site Mediapart publie un document présenté comme une « note » issue des services secrets libyens. Elle indique que le dictateur libyen aurait donné son accord pour verser 50 millions d’euros à celui qui était, de juin 2005 à mars 2007, le ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy dépose plainte. Mais l’instruction pour « faux » se soldera, en 2019, par un non-lieu définitif.
  • Décembre 2012. L’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine affirme devant le juge qui instruit l’affaire Karachi détenir les preuves de ce financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.
  • Janvier 2013. Le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire.
  • Avril 2013. Une information judiciaire est ouverte contre X et transmise au Parquet national financier.
  • Mars 2018. Nicolas Sarkozy est mis en examen pour « corruption », « recel de détournements de fonds publics [libyens] » et « financement illicite de campagne électorale ». Il est placé sous contrôle judiciaire.
  • Octobre 2020. L’ancien président est mis en examen pour « association de malfaiteurs ».
  • Mai 2023. Le Parquet national financier requiert le renvoi des 13 prévenus – l’un est décédé depuis – devant le tribunal correctionnel
  • Août 2023. Les deux juges d’instruction signent l’ordonnance de renvoi.

Que reproche la justice à Nicolas Sarkozy ?

L’ancien chef d’Etat, aujourd’hui âgé de 69 ans, est jugé pour « recel de détournement de fonds publics », « corruption passive », « financement illégal de campagne électoral », « association de malfaiteurs ». Il est soupçonné d’avoir noué un « pacte de corruption » avec le dictateur libyen. Selon l’ordonnance de renvoi, consultée par 20 Minutes, Mouammar Kadhafi aurait financé sa campagne présidentielle en 2007 avec des fonds publics en échange de « contreparties » :

  • « diplomatiques » : « le retour de la Libye sur la scène internationale »
  • « économiques » : « contrat de matériel de surveillance du territoire libyen », « engagement sur le nucléaire civil », « contrat d’exploitation pétrolière » pour l’entreprise Total
  • « juridiques » : l’ancien président se serait ainsi promis la levée du mandat d’arrêt d’Abdallah Senoussi, le beau-frère par alliance du « guide de la Révolution libyenne »

Nicolas Sarkozy est aussi soupçonné d’avoir, « en toute connaissance de cause », laissé des proches agir « en qualité d’intermédiaires ». Des contacts « tantôt officiels », « tantôt officieux », avec les autorités libyennes.

Qui sont les autres principaux prévenus ?

Trois anciens ministres de droite seront assis sur les bancs des prévenus, soupçonnés d’avoir joué les intermédiaires :

  • Claude Guéant, 79 ans, est jugé pour avoir « pris une part active, voire essentielle, dans la mise en place et l’organisation d’un soutien financier illégal de la campagne présidentielle de 2007 », selon l’ordonnance de mise en accusation signée par les deux juges d’instruction. « Postérieurement à l’élection, il apparaît avoir continué à bénéficier des canaux de financement illégaux mis en place », insistent les magistrats. L’ex-secrétaire général de l’Elysée devra notamment s’expliquer sur la somme de 500.000 euros reçue après l’élection présidentielle. Selon lui, il aurait touché cet argent en vendant deux tableaux du peintre hollandais Andries Van Eertvelt à un acheteur anonyme par l’intermédiaire d’un avocat malaisien, Sivajothi Rajendram. Pour l’accusation, l’argent aurait servi à rembourser l’un des intermédiaires officieux de ce dossier, l’homme d’affaires Franco-Algérien Alexandre Djouhri, 65 ans, « dans le cadre de cette opération ».
  • Brice Hortefeux, 66 ans, est pour sa part soupçonné d’avoir participé « à l’organisation de transferts de fonds dans le cadre du financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par le régime libyen ». L’ancien ministre délégué aux collectivités territoriales aurait aussi joué ce rôle d’intermédiaire avec des proches de Kadhafi lors d’une « visite prétexte en Libye ». Son intérêt dans cette affaire ? Après l’élection de Nicolas Sarkozy, son « ami », il a été nommé ministre de l’Intérieur. La justice le soupçonne également d’avoir « tiré un profit financier personnel ».
  • Éric Woerth, 68 ans, a été président de l’association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy. Il lui est reproché d’avoir, à ce titre, utilisé de l’argent liquide « pour régler des notes de frais non reportées dans le compte de campagne, mais également des salaires de chauffeurs, et plus généralement des rémunérations non déclarées ». Selon lui, cet argent proviendrait de « dons anonymes », reçus « par courriers ou par dépôts », qui « n’avaient pas été entrés en comptabilité ». Les juges d’instruction estiment que l’ancien ministre du Budget avait la « volonté de dissimuler l’origine réelle des fonds ayant circulé durant cette période ». Ils soulignent d’ailleurs que, selon un autre intermédiaire officieux, le franco-libanais Ziad Takieddine – en fuite au Liban –, des « valises remises à Claude Guéant contenaient elles aussi de grosses coupures », environ 5 millions d’euros.
  • Thierry Gaubert, 73 ans, a été le chef adjoint du cabinet de Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de la Communication de 1993 à 1994. Dans ce dossier, il est soupçonné d’avoir reçu, de la part de Ziad Takieddine, la somme de 440.000 euros en février 2006. De l’argent versé sur un compte ouvert aux Bahamas « dont il était bénéficiaire économique », et ce « dans une temporalité proche et compatible avec un possible financement de la campagne électorale » de l’ancien président de la République. Il a d’ailleurs effectué, remarquent les magistrats instructeurs, des « retraits d’espèces significatifs en 2006 et 2007 ».

Quelles peines encourent-ils ?

  • Claude Guéant : Dix ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
  • Brice Hortefeux : Dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende.
  • Ziad Takieddine : Dix ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
  • Nicolas Sarkozy : Dix ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende.
  • Éric Woerth : Un an d’emprisonnement et 3.750 euros d’amende.
  • Alexandre Djouhri : Dix ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.
  • Thierry Gaubert : Dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende.