Soumission chimique : « J’étais enfermé dans mon corps »… Sur France 2, un documentaire donne la parole aux victimes
Parler, parler et encore parler. Pour se reconstruire et fermer le livre d’une histoire douloureuse, pour alerter sur un phénomène largement sous-estimé, et surtout pour dire aux autres victimes : « vous n’êtes pas seules ». « Les tortionnaires ont l’art et la manière de vous faire culpabiliser, de vous faire sentir coupable et responsable de votre viol. Peut-être que mon histoire servira à d’autres, les aidera dans leur parcours de reconstruction », confie Rénald. Ce fleuriste de 48 ans est l’une des figures du documentaire de Leila Bendali « Soumission chimique : pour que la honte change de camp », diffusé ce mardi soir sur France 2. Un film indispensable pour comprendre la réalité d’un fléau qu’on peine à mesurer.
Si l’histoire de Gisèle Pelicot, droguée pendant une dizaine d’années par son mari qui la livrait à des inconnus pour la violer, sert de fil rouge, le documentaire donne la parole à d’autres victimes pour raconter les multiples facettes de la soumission chimique. A l’instar de Rénald donc, drogué en boîte de nuit lorsqu’il avait 17 ans. Trente-deux ans ont beau s’être écoulés, il se souvient précisément de son agression : la drogue ingérée à son insu ne lui a pas fait perdre connaissance mais le rendait incapable du moindre mouvement. « Je criais à l’intérieur mais aucun son ne sortait de ma bouche, j’étais enfermé dans mon corps. »
Les multiples facettes de la soumission chimique
D’autres victimes ne gardent pas le moindre souvenir de leur agression. C’est le cas de Zoé, agressée lorsqu’elle avait 15 ans le soir de la Fête de la musique. « Pendant longtemps, je me suis raconté que c’était mieux que je ne me souvienne pas. Mais le fait de ne pas savoir, ça laisse une énorme place à l’interprétation, aux hypothèses », confie dans le documentaire cette femme devenue médecin et militante.
Elle, ignore tout de ses agresseurs, contrairement à Céline, qui sait parfaitement qu’il s’agissait d’un des clients de la galerie d’art dans laquelle elle travaillait. Pour Katia, c’était un collègue banquier, comme elle. Pour Lilwen, son père. « Le procès des viols de Mazan a montré que la soumission chimique, ce n’est pas seulement du GHB dans un verre en boîte de nuit. Tout le monde peut être victime, ça arrive beaucoup plus fréquemment qu’il n’y paraît », insiste Rénald. Son agresseur était un homme dont il repoussait les avances depuis longtemps.
Voix off de ce documentaire, Caroline Darian, la fille de Gisèle Pelicot, raconte l’affaire de l’intérieur. La déflagration en découvrant que ce père qu’elle adulait droguait sa mère, qu’il avait également des photos d’elle inconsciente dans son ordinateur. Celle qui a créé l’association « M’endors pas », pour sensibiliser à la soumission chimique, raconte ses craintes avant l’audience de ne « réussir à le détester », jusqu’au verdict qu’elle ne trouve pas à la hauteur. Rénald aussi a suivi le procès des viols de Mazan de près. Lui, n’a pas pu porter plainte contre son agresseur : lorsqu’il s’est senti la force d’entamer cette démarche, son violeur était décédé. Katia, elle, s’est rapidement tournée vers la justice. Une photo d’elle inconsciente a bien été retrouvée dans le téléphone de son agresseur. Mais ce dernier a été acquitté, la cour ayant estimé qu’il subsistait un doute.
Notre dossier sur la soumission chimique
La lente reconstruction
Derrière la diversité de ces récits, tous racontent le même sentiment de dépossession de leur corps et une lente reconstruction. Beaucoup racontent avoir tu ces faits pendant très longtemps, parfois des décennies à leurs proches. Par honte, sentiment de culpabilité, crainte de faire de la peine… A l’instar de Rénald. Sa voix se brise lorsqu’il confie avoir évoqué pour la première fois son viol avec sa mère à l’occasion de ce documentaire. « En lui disant, je lui ai fait du mal. Elle s’en veut de n’avoir rien fait, mais c’est parce que je n’ai rien dit, rien montré. Ce témoignage, ça permet de clore un chapitre de ma vie. »
Le documentaire « Soumission chimique : pour que la honte change de camp », d’Andrea Rawlins Gaston et Linda Bendali, sera diffusé ce mardi sur France à 21H10. Il sera suivi d’un débat.