Sommeil, nutrition, sédentarité… Que valent (vraiment) les applications santé ?

Ding ! Ding ! Ding ! Les notifications s’enchaînent, mais elles n’annoncent pas l’arrivée d’un SMS, d’un mail ou d’un rendez-vous imminent. Celles-ci ont été paramétrées pour vous signaler que vous devez vous dégourdir les jambes, que vous n’avez pas suffisamment dormi la nuit, que vous devez boire de l’eau, ou que vous avez atteint les 10.000 pas quotidiens. La santé mobile ou m-santé, à travers les applications et les objets connectés, s’est imposée dans le quotidien des Français, au point que certains la voient désormais comme un coach personnel, voire un véritable médecin de poche.
Qui n’a pas aujourd’hui dans son smartphone l’une de ces applications santé ou bien-être ? Condition physique, nutrition, sommeil, arrêt du tabac, méditation, consommation d’eau, cycle menstruel, fitness, fertilité, santé mentale, fréquence cardiaque… Il en existe tellement que tout le monde peut avoir la main sur sa santé, au point de ne plus savoir à quelle(s) appli(s) se vouer. La Haute Autorité de santé (HAS) estime à 350.000 le nombre d’applications du genre proposées sur les boutiques en ligne en 2020, contre seulement 100.000 en 2016. Une offre exponentielle qui peut poser question, tant en matière de fiabilité que d’utilité et de sécurité.
Pas suffisamment contrôlées
La fiabilité des informations relayées pose forcément question. Sur quels fondements scientifiques se basent ces programmes qui nous conseillent au quotidien ? « Ces applications mettent en avant une expertise, mais cela ne signifie pas forcément qu’elles se basent sur une littérature scientifique fiable », explique Marie-Christine Jaulent, directrice de recherche Inserm au laboratoire d’informatique médicale et ingénierie des connaissances pour la E-Santé. « En guise de preuve, il faudrait qu’un essai clinique soit réalisé pour valider le rapport bénéfice-risque de ladite application, comme on le fait pour des médicaments ou des dispositifs médicaux ».
Peu d’applications mobiles de santé ont pour le moment démontré leur efficacité via ce type d’essai clinique, comme l’a révélé une étude publiée en 2022 dans le Journal of Medical Internet Research. Sur 68 solutions de e-santé passées au crible, seules 21 % avaient mené des études randomisées. Pour cause, « la plupart de ces applications n’ont ni le temps ni l’argent de faire de tels essais. Donc elles se garantissent par des expertises qui ne sont pas forcément des preuves », indique Marie-Christine Jaulent.
Rester à l’écoute de son corps
« Manger cinq fruits et légumes par jour », « faire au moins 8.000 pas » ou « ne pas consommer de l’alcool tous les jours » comptent parmi les recommandations institutionnelles véhiculées par ces applications. Une bonne chose a priori, si ce n’est que ces messages ne sont pas (tous) adaptés au profil, aux préférences, à la condition physique ou aux conditions de vie des utilisateurs.
La personnalisation que permet la relation médecin/patient est indispensable pour modifier son mode de vie sur long terme. Il y a sans doute du bon à motiver les utilisateurs à pratiquer une activité physique à coups de « ding, ding » intempestifs, mais cela ne fonctionnera que s’ils sont prêts, disponibles, et en capacité de répondre à ces sollicitations. Le fait de ne pas individualiser les actions, et donc de les mettre à portée de tous, peut contribuer à accroître les inégalités à long terme.
Si vous comptez parmi celles et ceux qui ont déjà téléchargé au moins l’une de ces applications, vous savez sans doute aussi qu’elles peuvent facilement devenir envahissantes. Avec un risque : suivre les mesures, objectifs et autres bilans à la lettre sans prendre en compte son propre ressenti. « Même si les mesures sont exactes, le fait d’en avoir sans cesse peut être anxiogène, le danger étant de tout auto-contrôler, et de ne pas être assez attentif à ce que dit le corps. Et à plus long terme qu’elles remplacent l’avis médical », alerte la directrice de recherche.
De nombreux bénéfices à exploiter
Les utilisateurs doivent prendre en compte les limites et risques que peut comporter la santé mobile, mais ces applications ne sont pas toutes à bannir, loin de là. « Ces produits peuvent porter des messages de santé publique, améliorer la prévention ou encore venir en appui d’une prise en charge médicale », rappelle la HAS.
Non seulement ces applications permettent de rendre les utilisateurs plus autonomes vis-à-vis de leur santé, mais elles rendent aussi la prévention plus accessible, offrant l’opportunité à chacun d’adopter de meilleures habitudes de vie, de se faire aider, ou plus simplement de se motiver à modifier certains comportements.
Un enjeu de taille si l’on considère le fardeau économique que représentent les maladies liées au mode de vie, dont les accidents vasculaires cérébraux, le diabète, l’obésité, et certains types de cancers. A terme, ces applications pourraient également alléger la charge des médecins, non pas en se substituant aux professionnels de santé, mais en améliorant la prévention de sorte qu’ils soient moins sollicités pour des symptômes anodins ou pouvant être traités par soi-même.
Quels sont les bons réflexes à adopter ?
Vous souhaitez télécharger cette application pensée pour contrôler et améliorer votre sommeil mais n’êtes pas sûr de sa fiabilité ? Avant de vous lancer, posez-vous les bonnes questions pour que le programme n’envahisse pas votre quotidien au point de le rendre anxiogène, conseille Marie-Christine Jaulent. Il s’agit notamment de vous demander si vous en avez vraiment besoin et quels objectifs vous souhaitez atteindre, pour ne pas vous laisser déborder.
Une fois ces critères définis, vérifiez la présence d’un marquage « CE », comme il en existe sur de nombreux produits, gage de fiabilité. Et s’il n’y en a pas, ne pas hésiter à se fier aux avis des utilisateurs qui ont déjà testé l’application et peuvent vous aider à vous faire une idée sur sa réelle utilité et/ou fiabilité. Vous pouvez aussi simplement vous renseigner auprès de votre médecin traitant ou d’un autre professionnel de santé qui, à défaut de valider ou non le programme, pourra vous guider vers l’application la mieux adaptée selon vos besoins.
Notre rubrique Bien-Être
Ultime détail et non des moindres : la question du partage des données. « Lorsque vous avez une montre connectée qui mesure les pas que vous faites, les données captées font trois fois le tour de la Terre avant de revenir dans votre téléphone », explique la directrice de recherche de l’Inserm. On le sait, les données médicales se revendent très cher, il convient donc de prêter une attention particulière aux politiques de confidentialité de ces applications. Autrement dit de les lire et de ne pas juste les accepter sans s’être renseigné au préalable.

