Si les Japonais continuent de ne plus faire l’amour, ils auront disparu d’ici 100 ans
Dire que le dernier Japonais au monde mourra en l’an 2121, marquant la fin d’une civilisation millénaire, relève aujourd’hui de la pure spéculation. Pourtant, la chute de la population semble inexorable si les courbes démographiques des naissances et des décès ne s’inversent pas radicalement. Alors, pourquoi les Nippons ne font-ils plus d’enfants ?
En 2023, le Japon a enregistré 758.631 naissances contre 1.590.503 décès, soit un différentiel encore plus important que l’année précédente. Et cette tendance ne date pas d’hier, le pays du Soleil levant ayant commencé à voir sa population baisser en 2010 alors qu’il comptait 128 millions d’habitants, contre 125 millions en 2023. Si la courbe des naissances continue de chuter de 2 % par an et que, dans le même temps, le taux de mortalité poursuit sa hausse au rythme de 1,5 % annuel, « le Japon atteindrait une population de zéro habitant dans 97 ans » a-t-on pu calculer grâce à une IA dans un scénario catastrophe irréaliste.
Le Japon est le pays où l’on fait le moins l’amour
Mais le vieillissement établi de la population entraînant sa chute rapide a une raison terriblement simple : les Japonais ne font plus l’amour. Du moins pas beaucoup. En 2021, selon une étude de l’Institut national de recherche sur la population et la Sécurité sociale du Japon, « 52,6 % des femmes âgées de 20 à 24 ans » n’avaient jamais eu d’expérience sexuelle. Un chiffre qui reste élevé dans les tranches d’âge supérieures, atteignant 35 % des 25-29 ans et près de 40 % des 30-34 ans. Toujours selon cette étude, « en 2021, 64,2 % des femmes et 72,2 % des hommes étaient sans partenaire ».
Et pour ceux qui s’y collent, ce n’est manifestement pas avec entrain si l’on en croit l’enquête de 2008 de Durex montrant qu’avec 48 rapports sexuels par an, le Japon est le pays ou l’on fait le moins l’amour. Selon le planning familial japonais, en 2016, « 47,2 % Japonais mariés ont déclaré n’avoir eu aucun rapport sexuel au cours du mois précédent ».
Alors O.K., les Japonais ne sont pas portés sur la bagatelle. Reste à savoir pourquoi. C’est dans une étude de la Japan Family Parenthood Association, citée dans ELLE, que l’on trouve une réponse, dès 2014. Près de 70 % des femmes de 16 à 19 ans interrogées reconnaissaient qu’elles n’étaient soit « pas intéressées », soit qu’elles ressentaient une « aversion » pour le sexe.
Le poids d’une société très traditionnelle
Pour les garçons, il y a carrément une expression pour désigner ceux pour qui le mariage ou le simple fait d’avoir une petite amie n’a pas d’intérêt : « sōshoku danshi », ou « hommes herbivores ». Un enseignant français spécialiste du Japon qui souhaite rester anonyme explique : « La société met encore beaucoup en avant l’image du couple existant pour fonder une famille, faire des enfants et avoir son pavillon. Et ça, les jeunes n’en veulent plus. »
Au sein des couples, les répondants à l’enquête de 2010 de la Japan Family Parenthood Association justifiaient pour 21 % d’entre eux le désintérêt par le sexe par « l’absence de désir », et pour 16 % en raison de la fatigue liée au travail. « On oublie aussi que beaucoup de mariages sont arrangés et que la notion d’amour n’entre pas en compte », poursuit l’enseignant. Au Japon, « le mariage est une sorte de contrat d’entraide entre époux, explique-t-il. Voire le gage d’une tranquillité envers le regard de la société. »
Paradoxalement, le sexe est omniprésent au Japon. « Ici, il est très courant d’avoir un amant ou une maîtresse, et la société est très tolérante sur ce point », affirme l’enseignant. D’ailleurs, il y a des « love hotels » partout. « Peut-être que les études ne prennent pas en compte cet aspect des pratiques sexuelles, parce qu’il s’agit d’une vie parallèle, discrète pour ne pas dire secrète », estime-t-il.
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Pour tâcher d’endiguer la chute de la population et relancer les naissances, le gouvernement a lancé un énième plan, doté cette fois d’un budget de 23 milliards d’euros malgré l’état de quasi récession du pays. Parce qu’il est là le vrai problème, dans le coût de la vie. Frais de scolarité baissés, aide financière à la naissance augmentée, rémunération des congés parentaux, allocations parentales, détaille notamment NHK World… A Tokyo, les employés municipaux ne bosseront plus que quatre jours par semaine, pour « stimuler la fertilité ». Reste à espérer que ça leur donne l’envie d’avoir envie.