France

Shein : « Certains n’y survivront pas »… L’ogre chinois menace-t-il le prêt-à-porter français ?

La marque IKKS a été placée en redressement judiciaire ce vendredi, deux jours après l’annonce du débarquement de Shein dans six magasins français. En moins de trois ans, des marques telles que Jennyfer, Camaïeu, San Marina et GAP ont disparu du marché du prêt-à-porter.


Difficile de faire plus symbolique. Deux jours après l’annonce de l’implantation de Shein dans six magasins français (le BHV Marais à Paris et six enseignes des Galeries Lafayette), la marque IKKS a été placée ce vendredi en redressement judiciaire. Jennyfer, Camaïeu, San Marina, GAP… En moins de trois ans, toutes ces marques emblématiques du prêt-à-porter des années 2000 ont disparu. Le sort des rares survivantes n’est guère plus enviable : Pimkie et Kookaï sont en pleine restructuration avec de nombreuses fermetures de magasins, tandis que Naf Naf subit son troisième redressement judiciaire en quatre ans.

Les raisons de cette crise prolongée sont multiples, mais lorsque vient le moment de désigner un coupable principal, les mêmes responsables sont souvent cités : le e-commerce, l’ultra-fast-fashion, la concurrence internationale… En somme : Shein, emblème de tous ces maux. La marque chinoise rassemble 23 millions de consommateurs en France et représente à elle seule 3 % des dépenses en habillement et en chaussures dans notre pays. Ce chiffre colossal pour un secteur très fragmenté. Et voilà que cet ennemi juré s’apprête à s’établir physiquement en France, une première mondiale. L’ultime clou dans le cercueil ?

« Ce n’est assurément pas une bonne nouvelle pour le secteur », avertit Pascale Hébel, économiste spécialisée dans le comportement des consommateurs et directrice associée du cabinet de conseil en marketing C-Ways. Car loin d’être anodin, l’ouverture physique « installe la marque dans le paysage français, favorise son image et la crédibilise. » Cela permet au roi du e-commerce « d’atteindre une autre cible et de se renforcer encore. »

Laurence Toy-Riont, Senior Manager chez Pixis Conseils, rappelle : « Les magasins physiques étaient l’un des derniers atouts du prêt-à-porter français face à Shein. » Malgré la montée du e-commerce, 80 % des achats de vêtements en France se font encore après un passage en magasin. Le géant chinois s’apprête donc à combler son seul retard face à la concurrence : « C’est un coup de maître », admet l’experte.

Et un coup de poignard fatal pour le secteur, craint Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH) : « C’est de la concurrence déloyale. Shein ne joue pas avec les mêmes règles, ne subit pas nos normes et opère dans une totale opacité concernant la qualité de ses produits, l’origine de ses matériaux ou les conditions de travail de ses employés. Comment voulez-vous qu’on lutte ? ». Alors que la proposition de loi contre la fast-fashion n’a toujours pas été adoptée, des magasins physiques mettraient Shein à l’abri de toute riposte législative. « Vous pouvez taxer certains produits à l’importation, ou les limiter, mais vous ne pouvez pas interdire un magasin », ajoute Pascale Hébel.

Donc, c’est la fin, on ferme la boutique ? Pas tout à fait, car pour Shein, tout reste à faire. Si elle s’implante en France, ce n’est pour le moment que dans six enseignes, ce qui est loin du maillage territorial de ses concurrents. Kiabi, par exemple, compte 352 magasins en France, Pimkie 189. L’arrivée du géant asiatique suscite une telle controverse qu’elle ne devrait pas encourager beaucoup d’autres enseignes à lui céder des espaces.

Le physique, s’il améliore son image, pourrait également priver la marque de certains de ses avantages. Shein possède deux atouts majeurs : d’une part, ses prix, en moyenne 20 à 40 % moins chers que ceux de la concurrence. D’autre part, « sa capacité à anticiper et à produire très rapidement les tendances », souligne Laurence Toy-Riont. Pour cela, la marque peut tester et produire plus de 1 000 modèles différents par jour. Un exploit réalisable grâce à la vente en ligne (au grand dam de la planète) mais qui devient totalement impossible en magasin.

Autre difficulté à venir s’implanter directement : le consommateur pourra tester le produit avant de l’acheter, ce qui pourrait mettre en évidence certains défauts. « Shein, ce n’est tout de même pas de la grande qualité, et ça se voit beaucoup plus en magasin », nuance Laurence Toy-Riont. Pascale Hébel ajoute : « En France, Shein devra jouer selon les mêmes règles que tous les autres. Il n’est pas certain que cela leur soit vraiment profitable. »

N’oublions pas que « c’est le consommateur qui va devoir arbitrer », précise Laurence Toy-Riont. Elle conclut : « Shein est un acteur très disruptif qui arrive dans un secteur figé. À l’image d’Uber, la marque remet en question tout un système. C’est très violent pour les acteurs déjà présents, mais cela les contraint à se réinventer. Certains n’y survivront pas, mais ceux qui resteront redéfinis seront meilleurs. »