Shein : BHV et Galeries Lafayette risquent-elles de ruiner leur image ?
A partir de novembre, Shein occupera plus de 1.000 mètres carrés au BHV Paris, et sera également présent dans les rayons de cinq Galeries Lafayette (Limoges, Angers, Dijon, Reims, Grenoble). Un sondage Yougov en 2025 indiquait que 40 % de la population française avait une opinion défavorable de la marque, soit la même proportion que pour l’opinion favorable (41 % des Français et françaises).
Alerte, le loup s’apprête à faire son entrée dans les bergeries de mode françaises. À partir de novembre, Shein occupera plus de 1.000 mètres carrés au BHV Paris, et sera également présent dans les rayons de cinq Galeries Lafayette (Limoges, Angers, Dijon, Reims, Grenoble). Cette occupation physique se veut pérenne, et non éphémère, représentant une première mondiale pour le géant de l’ultra fast fashion. Cela survient alors que la société chinoise fait régulièrement l’objet de critiques de la part des politiques, des ONG et des consommateurs, concernant son coût écologique, son absence de qualité, son non-respect des normes, son imposition en France, ou encore les conditions de travail de ses employés.
Frédéric Merlin, directeur de la Société des grands magasins (SGM), qui possède le BHV et une partie des Galeries Lafayette, a exprimé son souhait de « faire le buzz » avec cette association dans les colonnes du Parisien. Toutefois, si buzz il y a, il semble s’agir d’un bad buzz. « Et cela ne devrait pas s’inverser », avertit Sophie Malagola, créatrice de mode et ancienne directrice des collections chez DIM et Etam. « Je ne comprends pas comment les enseignes françaises ont pu accepter ça », ajoute-t-elle. « Ce n’est pas s’associer à n’importe quelle marque, mais avec un acteur qui ne respecte rien, n’est pas respecté, ni respectable. »
Le précédent Pimkie
Un sondage Yougov en 2025 a révélé que 40 % de la population française avait une opinion défavorable de la marque, proportion équivalente à celle d’opinions favorables (41 % des Français et Françaises), soulignant son caractère assurément clivant, malgré son succès économique indéniable – 23 millions de consommateurs en France.
Pimkie, qui a récemment annoncé un partenariat avec Shein, a été sévèrement critiqué pour s’être rapprochée de cette marque, et a été exclue quelques jours plus tard de l’Alliance du Commerce et de la Fédération des enseignes d’habillement (FEH), une décision votée à l’unanimité, considérée comme une frappe atomique dans le milieu du prêt-à-porter. Une mesure rarissime, justifiée par l’aspect « destructeur pour le pays », selon la FEH. Un pareil boycott pourrait également s’appliquer aux deux enseignes, selon Sophie Malagola : « Il est possible que des marques refusent désormais d’être associées à ces magasins. Et qu’une partie de la clientèle fuie également. »
« Un manque d’imagination et de professionnalisme »
La Fédération française du prêt-à-porter féminin (FFPAPF) a dénoncé un « manque de respect » et s’oppose « fermement » à l’arrivée de Shein. « Ces grands magasins tournent le dos à leur rôle patrimonial et culturel, tout en fragilisant l’image de la mode française », a déclaré le président de la fédération, Yann Rivoallan.
Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH), a exprimé un sentiment similaire en s’adressant à 20 Minutes : « On trouve attristant qu’un magasin comme le BHV, une institution depuis 1860, qui représente aussi les grands magasins parisiens, accepte de s’adosser à ce qu’il y a de pire dans la mode. C’est un manque d’imagination et de professionnalisme. » La Mairie de Paris a également réagi, affirmant que « Paris n’a pas vocation à devenir la vitrine complaisante de multinationales prédatrices », selon Nicolas Bonnet Oulaldj, adjoint au commerce.
« Les grands écarts en marketing, ça ne fonctionne pas »
Quelles retombées peut-on attendre de cette association ? Frédéric Merlin a justifié l’accord, le considérant comme une « opportunité extraordinaire pour nos lieux de commerce. Ce qui est nécessaire, c’est de générer du trafic et de rajeunir l’offre. Au BHV, la cliente a en moyenne 50 ans ». Cependant, cette alliance semble si contre-nature que son efficacité est mise en doute par Pascale Hébel, économiste spécialisée dans le comportement des consommateurs et directrice associée du cabinet de conseil en marketing C-Ways. « Associer Shein avec le BHV ou les Galeries Lafayette, c’est pour le moins étonnant. Ce n’est même pas la même image, pas la même clientèle… C’est un très grand écart d’image, et les grands écarts, en marketing, ça ne marche pas. »
« C’est renier sa clientèle et son image de luxe, alors que le luxe est l’un des rares domaines qui fonctionne bien. Les Galeries Lafayette ne vont pas sortir du bas de gamme, ils vont au moins prendre du milieu de gamme chez Shein, soit ce qui fonctionne le moins », souligne l’experte, renforçant son incompréhension. Un constat auquel semble se rallier le groupe Galeries Lafayette lui-même, qui a dénoncé cet accord auprès de l’Agence France-Presse, déclarant qu’il « empêchera la mise en œuvre » de ce partenariat. Le loup n’est pas encore là que la basse-cour est déjà en ébullition.

