France

Sexe neutre : Jean-Pierre, qui voulait faire changer son état civil, débouté par la CEDH

« Je regrette la décision rendue, mais elle appelle à ce que les personnes intersexes continuent la lutte pour leurs droits fondamentaux » estime, Mila Petkova, l’avocate de Jean-Pierre. Ce psychothérapeute de 72 ans, qui vit dans l’est de la France, a été débouté ce mardi par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a refusé de suivre sa demande concernant la reconnaissance de la mention « sexe neutre » sur son état civil.

Si la cour reconnaît la « souffrance et l’anxiété » du requérant, elle reconnaît la « nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français » avancée par les juridictions françaises. Elle ajoute que de nombreux états prévoient la spécification du genre sur les certificats de naissance ou les documents d’identification et « qu’il n’existe pas de consensus européen » en la matière, et que c’est aux Etats de décider sur de tels sujets.

« Lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle de décideur national », écrit-elle. Se réservant toutefois le droit de changer d’avis, en fonction de « l’évolution de la société et de l’état des consciences ».

Une première victoire

C’est la fin d’un long parcours judiciaire pour le requérant, qui n’a cessé de refuser d’être inscrit dans la case « homme » ou « femme » durant toute sa vie. Ce parcours judiciaire avait pourtant bien commencé, en 2015, lorsque Jean-Pierre avait obtenu une réponse positive du tribunal de Tours, l’autorisant le 20 août à changer la mention de son sexe sous l’appellation sexe neutre.

« Pour nous cette reconnaissance était évidente au regard des faits puisque nous savions que le requérant avait une identité personnelle qui était neutre, intersexe, à la fois psychologiquement et socialement. C’était une personne qui exprimait sa neutralité dans tous les aspects de sa vie. Nous ne nous rendions pas compte des conservatismes et obstacles que nous aurions à affronter », rapporte son avocate, Mila Petkova.

Obstacles

Car dès l’année suivante, les choses se compliquent. Le 22 mars 2016 la cour d’appel Orléans infirme le jugement, renvoyant la question au législateur et considérant cette demande « en contradiction avec son apparence physique et son comportement social ». « Son identité masculine lui a été imposée par les traitements médicaux. Il est inséré dans la vie professionnelle, il ne peut pas jouer de manière infinie avec ça, il est obligé d’habiller ce costume pour vivre dans la société qu’on lui impose, réplique son avocate. Il est obligé de jouer un rôle. Mais il utilise souvent des couleurs comme le rose. »

Rebelote en 2017, nouvel obstacle : la cour de cassation rappelle qu’il n’existe que deux catégories dans le droit français. « Cette binarité poursuit un but légitime, car elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur », estime la cour de Cassation, qui craint que la reconnaissance d’une troisième catégorie ait « des répercussions profondes sur les règles du droit français » et implique « de nombreuses modifications législatives ».

« Cet argument a été soulevé pour faire peur, on a juste demandé que ce soit changé pour cette personne. L’Etat civil a pour objet l’identification, or changer la mention se sexe ne porte pas atteinte à un problème d’identification ou de police. On nous dit qu’il est marié, qu’il a un enfant, que donc c’est un homme : ces arguments sont archaïques », répond Mila Petkova.

Normalisation

La décision de la CEDH, qui renvoie la balle aux Etats membres, met un point final au parcours de Jean-Pierre et à l’espoir de nombreuses personnes intersexes, qui attendaient d’être reconnues pour ce qu’elles sont, et subissent une forme de marginalisation du fait d’avoir des caractéristiques sexuelles des deux sexes. « Le fait de dire qu’intersexe est une catégorie civile, cela les aurait normalisées. Aujourd’hui la doctrine juridique utilise l’expression  »d’erreur de la nature ». C’est cette approche pathologisante qui est reprise dans l’état civil », critique Benjamin Moron-Puech, professeur de droit à l’université Lyon-2, et auteur d’articles sur la question. Il regrette que la cour ait selon lui « une méthode de protection des droits humains moins élevée pour les minorités que la majorité. Si tu es une minorité, alors il faut que tu implores tes droits au groupe majoritaire. C’est la démocratie contre l’état de droit. »

« Je suis très déçue, complète Mila Petkova, car la cour avait la possibilité d’envoyer un message clair et d’accompagner l’extraordinaire évolution de ces législations qui vont vers un sexe neutre. Mais elle s’est contentée de faire une photographie du droit. Cette décision est un appel aux groupes minoritaires à se regrouper pour faire reconnaître leurs droits. »