France

« Seum », « plaies » … A Marseille, la guerre des municipales a déjà lieu

« Ils sont venus, ils sont tous là. » Bruno Gilles, responsable d’Horizons à Marseille, se marre. Sur la photo postée sur les réseaux sociaux, effectivement, ils sont tous là. Mais, a priori, ce n’était pas pour voir mourir la Mamma. C’était plutôt pour être certain d’être vu, sur ce cliché qui, ils le savaient, ferait beaucoup parler, une fois posté le lendemain. Un cliché qui avait même fait l’objet d’une bande-annonce dans les médias pour mieux susciter l’attente et être certain que le message passerait.

La scène se passe jeudi dernier, dans un restaurant sur les quais du Vieux-Port. Sur la photo, on y voit toute la droite marseillaise au sens large. « De la gauche de Benoît Payan à la droite marseillaise dure, de Christophe Madrolle à Valérie Boyer en gros, tout le monde était là », résume le conseiller départemental Yves Moraine, ancien chef de file de la droite au conseil municipal sous Jean-Claude Gaudin.

« On n’est pas obligé de s’embrasser sur la bouche »

Une simple photo qui était loin d’être une évidence, dans une ville où la droite, à la tête de la cité phocéenne pendant vingt-cinq ans, s’est mue en un champ de ruine et de bombes, décimée par les ralliements en cascade à Emmanuel Macron, les divisions internes et la défaite des dernières municipales sur fond de scandales judiciaires. Alors, à trois ans des prochaines élections municipales, la présidente de la métropole Martine Vassal et celui de la région Renaud Muselier ont sifflé la fin de la récréation. Il s’agit désormais d’afficher une large union, y compris avec les ennemis d’hier, comme Bruno Gilles, longtemps patron de la droite à Marseille, candidat dissident contre Martine Vassal lors des dernières municipales.

« Les plaies sont cautérisées mais pas cicatrisées, pas refermées, observe Bruno Gilles. Le temps doit faire son œuvre. En trois ans, tout n’est pas parfaitement oublié. On pardonne mais on n’oublie pas. Mais on est à un moment particulier, à mi-mandat. Il était temps de montrer qu’on pouvait se retrouver tout unis, et de rappeler à Benoît Payan qu’il existe une opposition à sa politique. On n’est pas obligé de s’embrasser sur la bouche pour proposer une alternative ! »

« Payan, c’est du Gaudin avec 50 kilos en moins »

Après une ambiance de trêve politique accentuée par le récent drame de la rue de Tivoli, la fin de la concorde politique entre droite et gauche à Marseille a été officiellement décrétée il y a quelques jours, à coups d’affrontements et de critiques sur les réseaux sociaux. « Oui, on prépare les municipales, confirme Yves Moraine. Dans ma conception de la politique, d’abord, quand on perd une élection, il faut faire un point avec soi-même et éviter toute agressivité immédiate. Là, à mi-mandat, il faut voir ce qui ne va pas et organiser l’opposition. » « Le dernier conseil municipal a été pour nous un électrochoc, croit savoir Bruno Gilles. Ils ont tiré sur nous comme de perdreaux et pas grand monde a répondu. On a senti qu’il y avait le feu aux poudres. Alors qu’il y a matière ! Le bilan de ce mi-mandat est loin d’être bon. Vous savez, Benoît Payan, c’est du Gaudin avec 50 kilos en moins. Il essaie d’apaiser les choses, y compris dans son camp. C’est compliqué pour lui ces derniers temps. »

L’union affichée de la droite tranche en effet avec des distensions qui semblent traverser le Printemps marseillais, déclinaison phocéenne de l’union de la gauche qui a mené Michèle Rubirola puis Benoît Payan à la tête de la deuxième ville de France. Après la création d’un groupe écologiste en juillet 2021 au sein du conseil municipal, cette union s’est un peu plus fissurée la semaine dernière avec l’affichage au grand jour de désaccords. Le 9 mai dernier, la Marseillaise révèle que la ville est sous la menace d’une procédure de carence préfectorale, en raison d’un manque de construction de nouveaux logements sociaux. Une révélation qui fait tâche quand on sait que le Printemps marseillais a notamment été élu sur son programme sur le logement. Quelques minutes seulement après la publication de ce papier, des adjoints au maire se sont montrés très critiques envers la politique menée par leur collègue à l’urbanisme, Mathilde Chaboche. Une salve de tweets reprenait avec une certaine velléité l’article, appelant à un changement. Le lendemain, l’adjointe démissionnait.

« Ils ont le seum »

« En tant qu’observateur politique, j’ai l’impression d’assister à un moment de basculement, estime Yves Moraine. Cette démission de Mathilde Chaboche a démontré des divisions. Nous verrons si ces divisions sont porteuses de fractures à plus long terme, alors que le maire essaie de garder l’union de tout ça, malgré aussi les assauts de Manuel Bompard. » Le député LFI a lui aussi critiqué la politique du logement à l’issue de l’article de La Marseillaise, une de ses premières attaques frontales contre Benoît Payan et la politique du Printemps Marseillais.

« Or, si on veut gagner les élections, il faut l’union de notre côté et la désunion du leur, et ça l’air de poindre le bout de son nez », résume Bruno Gilles. « Comme disent les jeunes, à droite, ils ont le seum, réplique Pierre-Marie Ganozzi, troisième adjoint au maire en charge du plan école. La gauche est unie. Je n’ai pas vu de critique sur la question du logement. C’est un constat, celui d’une insuffisance sur le logement. Mathilde Chaboche a remis sa démission. Dont acte. Mais ce n’est pas Mathilde Chaboche qui était visée in fine. »

« C’est délirant de partir pour les municipales trois ans avant »

« Cette union de la gauche, de fait, était un objet politique non identifié, lance l’adjointe au maire Marie Batoux. Beaucoup de gens qui l’ont rejoint étaient cessionnaire de leur parti. A la base, c’était la conviction d’un petit groupe. La démission de Mathilde Chaboche n’est pas intervenue pour calmer les oppositions internes. C’était un gage pour l’extérieur, pour l’Etat et les Marseillais. Après, personne n’a dit qu’il n’y avait pas de débat politique entre nous. Le logement en fait partie. Nous sommes un groupe d’êtres humains avec des sensibilités différentes. C’est normal. »

« C’est délirant de partir pour les municipales trois ans avant, et puis il faut avoir conscience de quelque chose, rappelle Jean-Marc Coppola, adjoint au maire en charge de la culture. Il reste trois ans. C’est long trois ans. Et avoir un bon bilan, ça ne suffit pas pour être réélu. Et j’ai envie de dire qu’il peut se passer des tas de choses en trois ans. Jean-Claude Gaudin, il était sûr de finir sur un bon bilan. Et boum, il y a eu la rue d’Aubagne… »