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Sénégal : Un groupe minier français accusé de « destruction de l’écosystème » avec ses machines géantes

La scène est impressionnante. Dans un vacarme assourdissant, la « plus grosse drague minière au monde » et la gigantesque usine flottante d’un groupe minier français fendent les dunes du désert de Lompoul, au Sénégal. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elles aspirent le précieux sable minéralisé.

Cette mine colossale et itinérante du groupe minier français Eramet a causé depuis 2014 le déplacement de milliers d’habitants et paysans dans cette région agricole aux écosystèmes fragiles. Elle a aussi engouffré des kilomètres de terres le long de la côte atlantique de ce pays. L’impressionnant tracé de l’avancée de la mine se voit d’ailleurs depuis l’espace.

Depuis 2014, le groupe minier exploite ces dunes afin d’en extraire les minéraux (zircon, ilménite, rutile et leucoxène), exportés à travers le monde pour le marché du bâtiment et ses dérivés, la métallurgie, la céramique.

Pendant des années, le sort des villageois déplacés et leur mobilisation dénonçant un accaparement des terres et un système de compensation « dérisoire » ont été peu écoutés, voire étouffés, à la faveur d’autorités locales et nationales complaisantes, dénoncent les détracteurs de la mine. Mais la controverse a récemment pris une ampleur nationale quand la mine est entrée dans la zone du désert de Lompoul.

Le président sénégalais s’en mêle

Se joignant aux paysans, des élus locaux et entrepreneurs notamment dans le tourisme ont dénoncé vivement l’impact de ces activités. Fin janvier, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye lui-même a fait des déclarations fortes en Conseil des ministres au sujet de l’industrie extractive. « L’exploitation des ressources minières dans plusieurs localités du pays ne participe pas activement au développement territorial et ne profite pas aux populations locales », a-t-il lancé.

C’est en 2004 que les autorités sénégalaises en place à l’époque ont accordé au groupe minier – détenu à 27 % par l’Etat français et quatrième producteur mondial de zircon – cette concession pour y exploiter ce convoité sable minéralisé. L’Etat du Sénégal détient 10 % du capital de la filiale sénégalaise d’Eramet, Grande Côte Opérations (GCO), renommée depuis Eramet Grande Côte (EGC).

« La mine, elle avance. Le sort des personnes quand la mine est passée ce n’est plus le problème » d’Eramet, estime Cheikh Yves Jacquemain, hôtelier franco-sénégalais et propriétaire d’un écolodge de tentes traditionnelles dans le désert.

Le groupe dit être une « entreprise responsable »

Le groupe minier est accusé de « dégrader les dunes et les sols », de « menacer les ressources hydriques », ainsi que la sécurité alimentaire et les activités économiques. Des communautés pointent une détérioration de leurs conditions de vie. L’une des récriminations est un système d’indemnisation jugé « dérisoire », basé sur un barème national datant des années 1970 et qui ne valorise pas la terre agricole par rapport à la perte irrémédiable de revenus provenant de ces zones fertiles.

EGC répond à l’AFP qu’en « entreprise responsable », le groupe indemnise les habitants « cinq fois plus » l’hectare nu que ce barème national, et qu’au total l’indemnisation moyenne est de 8 à 10 millions de FCFA l’hectare (entre 12.190 et 15.240 euros).

Le maire de Diokoul Diawrigne indique que lui et sa communauté ont rejeté en 2022 l’étude d’impact environnementale présentée par GCO lors d’une audience publique. Mais l’étude a malgré tout été validée au niveau ministériel à l’époque. Reconnaissant qu’au « début » le projet minier avait suscité « un espoir » parmi la population, il n’a apporté, selon lui, que des « promesses non tenues, une destruction de notre écosystème, des intimidations, des déplacements de villages de manière catastrophique et un recul sur le plan du développement économique dans la zone des Niayes ».

« Le sol était fertile dans notre village… »

Les détracteurs de la mine s’inquiètent du bouleversement de cet écosystème d’une biodiversité rare, composé de cuvettes interdunaires, des oasis où les sols permettent une agriculture « qui a produit jusqu’à un passé récent 80 % des légumes frais consommés au Sénégal ».

Au fil des années, les habitants déplacés ont été relogés dans « quatre grands nouveaux villages » équipés de commodités, « un total de 586 maisons et des infrastructures communautaires (centre de santé, école, etc.) ont été construites à ce jour » par le groupe minier et 3.142 personnes sont concernées, indique EGC.

Réunis sur la place du village des « recasés » de Foth, à 120 km au nord de Dakar, Omar Keïta et une vingtaine d’autres chefs de familles déplacées ont visiblement besoin d’exprimer leur colère. « On veut retourner sur nos terres et que notre village soit reconstruit pour retrouver notre vie d’avant… Je lance un appel au président du Sénégal et même à la France ! », s’exclame Omar, 32 ans, visage soucieux.

Avant son déplacement, il « avait (ses) champs et (sa) maison ». « On gagnait nos vies dignement mais GCO a remis ma vie à zéro, je dois tout reconstruire… ». « Le sol était fertile dans notre village, mais ici je suis même obligé d’aller travailler dans les champs d’autres personnes », indique-t-il.

« Nous avons régressé dans tous les sens »

Dans la cour de sa concession, Ibrahima Ba, 60 ans, ne décolère pas non plus : « Nous avons régressé dans tous les sens ». « Nous demandons au président Diomaye Faye et à son Premier ministre de venir en aide à la population de Foth et des Niayes ; nous croyons qu’ils peuvent faire quelque chose parce que c’est un pays étranger qui veut détruire la vie des citoyens sénégalais », lâche-t-il.

Dans un entretien, le directeur général de GCO, Frédéric Zanklan, déclare que la société est « dans un cadre tout à fait légal » dans ses activités, qui « respectent la convention minière » signée avec le gouvernement. « C’est un projet qui bénéficie au Sénégal », plaide-t-il. EGC affirme avoir « généré 149 millions d’euros de retombées économiques pour le Sénégal en 2023 », et avoir versé « 25 millions d’euros sous forme d’impôts, de taxes et de dividendes » sur un chiffre d’affaires de la société de 215 millions d’euros en 2023.

Il met en avant les « près de 2.000 personnes qui travaillent au niveau de la mine et des usines de séparation, dont 97 % sont des Sénégalais, et 48 % de ces travailleurs proviennent du bassin d’emploi local », affirme-t-il.

Dans la même région, arpentant un champ sans culture et montrant des mares brunâtres, Serigne Mar Sow déplore les « dégâts incommensurables » de la mine, selon lui. L’eau pompée pour la drague est redéversée dans le bassin artificiel et s’infiltre vers la nappe phréatique superficielle. EGC assure ainsi que les activités maraîchères « en bénéficient ».

Une eau polluée ?

« On cultivait ici des légumes et des bananes et vous voyez que toutes les plantes sont mortes, c’est à cause de cette eau qui inonde nos champs car la drague de GCO se trouve à 2,5 km d’ici », se désole M. Sow. « Le sol n’est plus fertile ». Montrant des plants de manioc et des bananiers morts, il accuse cette eau redéversée de contenir des « produits chimiques ». De son côté, EGC affirme que le processus d’extraction « est purement mécanique » et « qu’aucun produit chimique n’est utilisé ».

Aujourd’hui, le maire de Diokoul Diawrigne « demande à l’Etat de faire un moratoire, d’arrêter la mine pour un moment, et qu’on évalue via des études sérieuses l’ensemble des dégâts qui ont été causés et qui vont l’être, en comparaison à ce que cela a rapporté à l’Etat et aux communautés ».

Frédéric Zanklan estime de son côté qu’il n’y a « pas besoin de moratoire ». « S’il y a des inquiétudes, toute autorité peut venir voir par elle-même ». Il précise que le groupe espère augmenter la capacité d’absorption de la drague à 8.500 tonnes par heure à partir de 2026.

En attendant, de jour comme de nuit, la drague continue à engouffrer les dunes de Lompoul avec fracas, loin de la quiétude passée du plus petit désert d’Afrique.