France

Sécurité routière : La fin du retrait de points pour les petits excès de vitesse, bonne ou mauvaise idée ?

« C’est un changement de paradigme ! » Pour Pierre Chasseray, délégué général de l’association « 40 millions d’automobilistes », c’est presque un jour historique. Après le port obligatoire de la ceinture, le permis à point, les radars ou encore la limitation à 80 km/h sur les routes, « pour la première fois » un gouvernement lève le pied sur les mesures imposées aux conducteurs, selon lui. A partir de début 2024, les petits excès de vitesse ne seront plus sanctionnés par un retrait de point, comme c’est actuellement le cas.

Cette annonce, faite par Gérald Darmanin à l’occasion d’un courrier à la sénatrice LR du Var Françoise Dumont, ne concernera que les excès « inférieurs à 5 km/h ». Une manière « d’introduire une indulgence administrative à l’égard de ces manquements relevant davantage du manque d’attention que de la volonté délibérée de s’affranchir de la règle », justifie le ministre de l’Intérieur. En 2020, sur les 12,5 millions de contraventions envoyées pour des excès de vitesse contrôlés par des radars, 58 % concernaient des excès inférieurs à 5 km/h, selon la lettre de Gérald Darmanin. Une sanction moins forte ne risque-t-elle pas de conduire à un relâchement des usagers ?

Permis à petits points

Pierre Lagache, vice-président de la Ligue contre la violence routière, y voit un « signal inquiétant, car le gouvernement accepte d’instrumentaliser la Sécurité routière à des fins de communication, dans un contexte social tendu ».  « Il ne faut pas confondre mesure pour dépénaliser le chauffard avec mesure de bon sens pour les conducteurs responsables », modère Pierre Chasserey. Sur la même ligne que le ministre de l’Intérieur, il se félicite de voir ces excès « involontaires » dissociés « des excès jusqu’à 20 km/h ». Mais pour Pierre Lagache, l’argumentaire ne tient pas. « Quand on dit que les gens ne peuvent plus bosser à cause du permis à points, je veux voir les chiffres. Seuls 7 % des conducteurs ont été concernés par un stage de récupération de points l’an dernier », assène-t-il.

Pire, la fin de cette sanction revient selon lui à laisser « les usagers à risques rouler plus longtemps » car ils vont « perdre leur permis moins vite ». Pierre Chasseray, lui, voudrait même aller plus loin et regrette que « le montant de l’amende ne soit pas diminué à 22 euros ». Toujours dans l’idée de mettre dans une « catégorie différente » les dépassements involontaires des excès plus importants. Le raisonnement est inverse chez Pierre Lagache. « Il y a un aspect social du retrait de point » qui met tout le monde à égalité, explique-t-il, « par rapport à l’amende » que les plus riches peuvent payer facilement. « C’est un projet d’affaiblissement du permis à points », tacle le responsable associatif.

A 50 km/h, le taux de survie d’un piéton n’est que de 20 %

Mais au-delà de la sanction envers les conducteurs, cette décision revêt un enjeu de Sécurité routière, sur lequel s’opposent aussi deux camps. « Si ça se soldait par des accidents, le ministère fera demi-tour, mais ce n’est pas ce qui va se passer », prêche Pierre Chasseray. Pour « 40 millions d’automobilistes », relâcher la pression sur les conducteurs ne va pas les inciter à plus jouer avec les limites. Mais quelques kilomètres/heure peuvent parfois tout changer. « Des études montrent que 46 % des accidents graves sont générés par des excès de vitesse inférieurs à 10 km/h », note le vice-président de la Ligue contre la violence routière.

En ville, la limite des 50 km/h est d’ailleurs un point de bascule pour les piétons et les cyclistes : selon l’OMS, le taux de survie d’un piéton percuté à la vitesse limite n’est déjà que de 20 %, contre 60 % à 40 km/h. Mais avec la nouvelle règle, et sachant que 5 km/h sont toujours retirés à la vitesse constatée au moment de dresser une contravention, les automobilistes pourraient circuler à 60 km/h en ville sans craindre de perdre un point. A cette vitesse, le taux de survie d’un piéton est quasi nul. « Une véritable politique d’insécurité routière », soupire Pierre Lagache.