France

Sébastien Lecornu se dit-il le Premier ministre le plus faible de la Ve République ?

Sébastien Lecornu a déclaré lors de sa rencontre avec les syndicats, le 24 septembre dernier, qu’il était le Premier ministre le plus faible de la Ve République. Depuis sa nomination, le 9 septembre, il parlemente avec les groupes d’opposition, au premier rang desquels le parti socialiste, pour éviter la censure.


Lors de sa réunion avec les syndicats, le 24 septembre dernier, Sébastien Lecornu a déclaré qu’il se sentait être le Premier ministre le plus faible de la Ve République. Bien qu’il puisse exagérer pour impressionner ses interlocuteurs, il se trouve effectivement dans une position précaire et sans précédent pour un Premier ministre sous la Ve République.

« Premier ministre, c’est un poste qui ne se refuse pas, mais c’est aussi le pire job de la République », explique dès le début Ludovic Renard, politologue et enseignant à Sciences Po Bordeaux.

Depuis sa nomination le 9 septembre, Sébastien Lecornu discute avec les groupes d’opposition, en particulier le Parti socialiste, afin d’éviter la censure. Il doit annoncer la composition de son gouvernement avant le 7 octobre, date limite pour le dépôt du budget.

### « Une équation quasi impossible »

« C’est la première fois qu’on demande à un Premier ministre, avant même qu’il nomme son gouvernement, de s’assurer qu’il ne tombe pas », souligne le politologue. En temps normal, sa tâche est de rassembler son camp politique, mais cette situation dépasse ce cadre. Il est donc réellement vulnérable d’un point de vue politique.

Les partis politiques se projettent déjà vers l’élection présidentielle de 2027 et « ne veulent pas faire de concessions idéologiques », note le politologue. À six mois des municipales de 2026, des alliances se forment à gauche dans certaines grandes villes, mais quel sera l’impact au niveau national ? « On lui demande de trouver un contrat de gouvernement car il n’a pas de majorité, c’est une équation quasi impossible », résume Ludovic Renard.

Le rôle du Premier ministre a évolué avec le temps, s’écartant de l’esprit initial de la Ve République. « Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le Général de Gaulle a clairement dit que le Premier ministre ne doit pas être le même homme que le Président. Or, depuis Sarkozy, il est devenu un collaborateur », rappelle le politologue. Avec l’instauration du quinquennat, le parlement est élu en même temps que le Président, « ce qui ne fonctionne pas non plus sous la Ve République », ajoute-t-il.

Élisabeth Borne et Gabriel Attal avaient des majorités, mais n’ont pas réussi à faire passer toutes les réformes, utilisant le 49.3 pour « éviter le blocage » et « continuer à gouverner », selon le politologue. Quel sera alors le degré de liberté pour Sébastien Lecornu ?

### Quelle carte à jouer pour Lecornu, fidèle macroniste ?

La meilleure opportunité pour Lecornu est que le Parti socialiste ne souhaite pas s’associer avec le Front populaire, ne voulant pas être lié aux éléments les plus radicaux de la gauche. « Cela lui laisse un petit espace », fait remarquer Ludovic Renard.

En tant que fidèle parmi les fidèles, Sébastien Lecornu a davantage de liberté d’action de la part d’Emmanuel Macron que n’en avait François Bayrou. Cependant, étant si proche du président, il devra démontrer un début de rupture avec les précédentes politiques de Barnier et Bayrou (réforme des retraites, flat tax, etc.). « Il doit garantir que le parlement pourra discuter ce qu’il propose », détaille le politologue. Le PS veut une garantie qu’il n’y aura pas d’utilisation du 49.3.

Concernant le projet de loi de financement, il lui faudra des mesures alignées sur celles du PS et « quelques signes pour s’assurer la neutralité du RN », estime le spécialiste des sciences politiques.

### Un nouveau rôle pour le Premier ministre ?

« Si cela fonctionne, cela pourrait donner un nouveau sens à la fonction de Premier ministre, avec un président axé sur la sphère internationale », estime ce spécialiste. Sans changer de République ou revenir à la proportionnelle, il pourrait être envisagé que c’est au Premier ministre de créer une majorité de gouvernement, ce qui supposerait un président en retrait.

S’il réussit, il pourrait établir une nouvelle mission pour le Premier ministre, celle de rechercher une coalition. La difficulté réside dans la présence d’un « omniprésident » comme Emmanuel Macron, car toute tentative serait vouée à l’échec si l’on perçoit que le président tire les ficelles en arrière-plan.

Avant d’évoluer dans ses pratiques, sa priorité sera avant tout de donner l’espoir qu’il ne sera pas censuré à la première occasion.