France

Santé mentale : Trop de psychotropes prescrits aux enfants ? Des psychiatres alertent sur un rapport

Une augmentation spectaculaire de la consommation de médicaments psychotropes chez les enfants et adolescents. C’est le constat du rapport du Haut conseil de la famille, de l’enfant et de l’âge, publié le 13 mars.

Dans le détail, entre 2014 et 2021, la consommation de médicaments chez les jeunes aurait augmenté de 48,54 % pour les antipsychotiques, de 62,58 % pour les antidépresseurs, de 27,7 % pour les anticholinergiques ou encore de 155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs. Des chiffres inquiétants pour la santé mentale des jeunes et leur prise en charge qui ont été relayés dans la presse, y compris par 20 Minutes.

Le rapport, parcouru par une grille de lecture psychanalytique, s’inquiète d’un « phénomène de surmédication » pour des « milliers d’enfants ». Celui-ci « fait craindre un risque de substitution des aides psychothérapeutiques, éducatives et sociales recommandées en première intention, par des pratiques médicamenteuses ». Le Haut conseil alerte donc sur l’augmentation de moyens « suffisants dédiés aux approches pédopsychiatriques de proximité et pluridisciplinaires, et aux offres psychothérapeutiques, éducatives et sociales destinées à l’enfant et à la famille qu’elles soutiennent ».

Ces traitements « sont très rarement une solution de première intention »

Quelle situation traduisent ces chiffres ? La Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées (SFPEADA) s’est inquiétée dans un communiqué de presse de ces passages sur les médicaments psychotropes « à même de provoquer une compréhension erronée de la situation, voire de conduire à des ruptures de soins forts regrettables ». Une association de malades souffrant de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), pointée du doigt dans le rapport, s’est également émue de l’écho qu’a reçu celui-ci.

« La Société a une position très claire : les traitements médicamenteux sont une des options thérapeutiques pour s’occuper des enfants et des adolescents », souligne auprès de 20 Minutes Oliver Bonnot, membre du conseil d’administration de la SFPEADA. Ces traitements « sont très rarement une solution de première intention » pour accompagner un jeune, ajoute la Société dans son communiqué : cela signifie que d’autres pistes sont ou devraient être explorées avant la prescription d’un traitement médicamenteux.

Certains de ces traitements « ont fait la preuve de leur efficacité dans un certain nombre de situations : les troubles bipolaires, la schizophrénie, l’anxiété ou encore les troubles de l’attention », rappelle le professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université et au CHU de Nantes.

« Plus de troubles amènent à plus de traitements »

Quid de cette augmentation de la prescription de médicaments psychotropes pointée dans le rapport ? « Elle est ancienne, elle doit être analysée de manière plus fine, répond le spécialiste. [Le taux de prescription de] certains traitements était historiquement bas. Par exemple, pour le méthylphénidate [la molécule présente dans la ritaline], la France reste le pays au monde avec la prescription la plus faible. »

Cette augmentation de la prescription « est observée en parallèle avec une augmentation des troubles anxieux, dépressifs et/ou du comportement alimentaire constatés sur la même période », complète la SFPEADA. « Il est donc prévisible que plus de troubles amènent à plus de traitements, y compris plus de prescriptions de psychotropes. »

Le rapport s’alarme également de prescriptions de médicaments qui seraient faites hors des cas prévus dans les autorisations de mise sur le marché. « Cet argument me semble étonnant, développe Olivier Bonnot. Les autorisations de mise sur le marché sont demandées par les laboratoires pharmaceutiques, elles sont extrêmement chères, donc les laboratoires ne vont toujours les demander que pour une population pédiatrique qui est moins médicamentée qu’une population adulte. » Pourquoi des médecins prescrivent-ils des médicaments hors de ce cadre ? « Il y a quand même des recherches académiques sur ces médicaments. Quand la recherche peut montrer qu’il y a une efficacité, on peut prescrire hors de cette autorisation de mise sur le marché. » Afin d’orienter les médecins, la SFPEADA a mis en ligne en 2019 un site Internet « d’aide à la prescription qui est accessible à tous », ajoute le professeur.

Pour la présidente du conseil de l’enfance et de l’adolescence du Haut conseil, Sylviane Giampino, psychologue et psychanalyste, le rapport ne se voulait pas à charge sur les médicaments mais interroge sur « le déséquilibre entre les différents types d’aides », a-t-elle indiqué à nos confrères du Monde. Le Haut conseil a « pour missions d’animer le débat public et d’apporter aux pouvoirs publics une expertise prospective et transversale sur les questions liées à la famille et à l’enfance, à l’avancée en âge, à l’adaptation de la société au vieillissement et à la bientraitance, dans une approche intergénérationnelle ».

Le rapport note également la difficulté d’accès aux soins alors que « le nombre d’enfants en difficulté psychique augmente » : « l’offre pédiatrique, pédopsychiatrique et médicosociale est en recul et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables les enfants et les familles ». Un constat partagé par les médecins psychiatres. « On milite au fond pour qu’on arrive à prendre le temps d’observer les situations avant d’envisager un traitement médicamenteux », résume Olivier Bonnot.