Samuel Certenais, l’homme hétéro qui ne voulait pas ressembler à son père

«Je suis un jeune garçon hétéro et je ne me reconnais pas dans les modèles traditionnels, alors je fais quoi ? Un spectacle. » C’est sur la foi de cet argumentaire que l’on va assister à Garçon, le seul en scène de Samuel Certenais, à la Nouvelle Seine (Paris 5e). Notre curiosité se mêle de méfiance devant l’affiche qui pose la question : « Comment devenir un homme quand on ne veut pas ressembler à son père ? »
On s’interroge sur ce que l’on va voir : Ne serait-il pas un de ces gars hétéros cherchant à flatter son ego en se présentent comme plus progressiste, féministe et ouvert d’esprit qu’il ne l’est en réalité ? Nos réserves sont balayées dès les premières minutes du spectacle.
Il donne à voir son épanouissement
Le comédien de 26 ans, fils d’un électricien et d’une comptable, se raconte à la première personne. Il est question de son enfance en Loire-Atlantique, des coupes remportées avec son club de foot… D’un quotidien banal, sans surprise, de petit garçon. Puis survient la maladie, qui le cloue dans un fauteuil roulant pendant plusieurs années. Dès lors, le regard que la société porte sur lui change. Et lui-même commence à voir le monde qui l’entoure sous un autre angle. Le temps passant, il ne cesse de se poser des questions. Sur ce qu’être un homme signifie, sur ses rêves « de princesse », sur le fait qu’il aime les femmes et porter des robes.
Samuel Certenais se confie avec une sincérité déconcertante, qui ne passe jamais pour de l’impudeur, même lorsqu’il évoque en détail sa découverte du plaisir prostatique. Il y a l’humour, bien sûr, qui permet de désamorcer une éventuelle gêne, mais le comédien ne se dissimule pas derrière les vannes. Il s’assume et c’est son épanouissement qu’il donne à voir, au bout d’une heure, à un public aux yeux embués.
Lorsqu’on le rencontre pour l’interview, quelques jours plus tard, sur la péniche où il joue tous les mercredis, on retrouve sa franchise, sa liberté de ton, ce on-ne-sait-quoi – mélange de naturel, de gentillesse et de simplicité – qui émane de lui. Il inspire la sympathie. Il n’est définitivement pas dans la posture.
On lui confie que l’on a redouté, avant de voir Garçon, d’assister à un projet opportuniste à l’heure où la critique du patriarcat, la masculinité toxique et la déconstruction des stéréotypes de genre nourrissent discussions, articles et débats.
« Je n’étais sûrement pas le seul à avoir ces interrogations »
« On peut dire que le spectacle tombe au bon moment, mais cela fait cinq ans que je travaille sur ces sujets-là, explique-t-il. Evoquer ce dont je parle sur scène et l’assumer a été d’emblée mon credo et une nécessité. A certains moments de ma vie, je me suis senti tellement seul avec toutes les questions que je me posais. Alors, quand j’ai eu l’occasion d’écrire et de me lancer dans ce métier, je me suis dit qu’il fallait que je parle de ça parce que je n’étais sûrement pas le seul à avoir ces interrogations. »
Le plaisir prostatique, le port de la robe, ou ne serait-ce que le fait d’exprimer ses sentiments quand on est un homme, c’est tabou. Pour que cela ne le soit plus, Samuel Certenais est convaincu qu’il est important d’avoir des modèles publics auxquels s’identifier. S’il peut en être un pour d’autres, il le sera volontiers.
« Une fois qu’on démocratise les choses, elles cessent d’être problématiques. Chacun s’approprie le discours ou pas. Mais moi, je veux juste dire « ça existe », ce n’est pas pour autant que vous êtes obligés de faire comme moi. Simplement, ça existe et il n’y a aucun problème. »
Un spectacle coécrit avec Noémie de Lattre
C’est exactement ce que s’est dit Noémie de Lattre qui a coécrit et mis en scène Garçon. Elle a découvert Samuel Certenais en donnant une masterclass à l’Ecole de l’humour et des arts scéniques où il étudiait. C’était avant qu’une pandémie de Covid confine le monde. Il se remémore : « J’ai joué devant elle le sketch où je décris ce que cela m’a fait de porter une robe pour la première fois de ma vie. A la fin, elle s’est mise à pleurer. Elle m’a félicité et m’a dit que ce spectacle devrait être vu partout, que cette parole devait être entendue. Ses mots m’ont bouleversé, j’avais envie de pleurer, mais je n’y arrivais pas. Elle m’a promis qu’on allait travailler ensemble. »
Noémie de Lattre a tenu parole. Samuel Certenais la décrit « comme un ange qui se pose sur un nuage ». « J’arrivais chez elle avec mes textes et elle me disait : « Ça, c’est bien. Ça non. Là, il faut creuser ». Elle a une exigence, elle ne laisse rien passer. Cela fait partie des moments les plus durs et les plus beaux de ma vie. C’est un bonheur de l’avoir rencontrée. »
« Mon père a trop kiffé »
En septembre 2023, il se lance à La Petite Loge, une salle parisienne de 25 places, puis passe au Théâtre du Marais, 85 places, et joue désormais, au moins jusqu’à fin juin, à La Nouvelle Seine, 120 places. « Il y a de plus en plus d’engouement, constate-t-il. Les retours des spectateurs et spectatrices me bouleversent. » A la fin de chaque représentation, plusieurs viennent à sa rencontre. « Il y a des hommes, des femmes, de toutes les générations, qui me prennent dans leurs bras, m’encouragent, me remercient. A ce moment-là, je me dis que tout va bien, que c’est exactement pour ça que j’ai quitté le commerce pour ce métier. »
Son père, lui, était « un peu sceptique au début ». « Du moins, quand il a su de quoi ça parlait, il s’est demandé ce qu’il allait voir. Et finalement, il a trop kiffé. Il me voit m’épanouir et réaliser un rêve. Ce que lui ne s’est jamais autorisé – il aurait aimé être footballeur. »
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Samuel Certenais affirme que Garçon a débloqué des choses avec son père. « On arrive maintenant à parler de plein de sujets qu’on n’arrivait pas à aborder avant. Et cela me touche beaucoup parce que cela a été souvent dur de lui dire ne serait-ce que je t’aime. Ça m’a pris du temps de lui dire : « Je suis fier d’être ton fils ». Je le suis vraiment. Peu importe ses défauts, je les comprends. » C’est peut-être ça aussi, devenir un homme.