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Saint-Valentin : Pourquoi le « Deadpool killer » et tant d’autres meurtriers ont-ils de véritables groupies ?

«Je veux être ton esclave », « l’amour de ma vie », « l’ange de mes rêves »… Sur les réseaux sociaux, Wade Wilson fait tourner de nombreuses têtes. En scrollant, on découvre une myriade d’images du trentenaire, accompagnées de messages d’amour ou de soutien. Pourtant, avec son visage recouvert de tatouages (dont une croix gammée, tout de même) et sa condamnation à la peine de mort, l’Américain est loin (très, très, très loin) d’être le gendre idéal. Une nuit d’octobre 2019, il a étranglé dans son sommeil Kristine Melton, une jeune femme qu’il avait rencontrée dans un bar.

Wade Wilson a ensuite volé la voiture de la jeune femme et croisé le chemin de sa seconde victime, Diane Ruiz. Alors que la mère de famille tentait de lui échapper, il l’a frappée, étranglée puis l’a jetée hors du véhicule. La justice a estimé qu’il avait commis ces crimes « juste pour le plaisir ». Le « Deadpool killer » a roulé « 10 à 20 fois » sur sa seconde victime pour « en faire des spaghettis », selon ses dires. Pour le commun des mortelles, Wade Wilson n’est donc pas, mais alors pas du tout, le Valentin idéal. Mais sur les réseaux sociaux, certaines femmes voient en Wade Wilson cet « étranger glamour », à l’instar de « Gatsby le Magnifique », selon Justine Quintin dans sa thèse Les tueurs en série et les meurtriers de masse : la fascination pour les auteurs d’homicide multiple.

Le « bodycount » létal

« La réaction des fans [de Wade Wilson] n’est pas surprenante. L’hybristophilie, l’amour – exclusivement féminin* – pour les meurtriers, est un phénomène très ancien », rappelle Robert King, enseignant chercheur en psychologie appliquée à l’université de College Cork, en Irlande. Ces femmes ressentent de l’attirance sexuelle, voire de l’affection, pour des criminels. Le chercheur cite le post d’une femme sur un site hybristophile qu’il a étudié : « Je baiserais John Wayne Gacy [condamné pour 33 meurtres en 1980] parce qu’il a un bodycount [nombre de victimes] impressionnant. Est-ce que je le trouverais attirant s’il n’était qu’un petit voleur ? Bordel, non ! »

Une inclination qu’on peut même retrouver dans l’histoire de la littérature. « Dès qu’elles ont commencé à écrire, les femmes ont décrit leurs fantasmes sexuels à propos de very bad boys. Il y a plus de 4.500 ans, la poétesse mésopotamienne Enheduanna exaltait son désir d’avoir des bébés avec des meurtriers », illustre Robert King.

« Il existe de nombreux cas d’hybristophilie documentés au cours de l’Histoire. Le cas le plus connu étant celui de Ted Bundy, qui a reçu de nombreuses lettres d’amour et de groupies lors de ses procès » de 1976 à 1980, abonde Thomas Williams, docteur en psychologie à l’université de Huddersfield, au Royaume-Uni. Le violeur, nécrophile et serial killer était noyé de lettres d’amour, de photos dénudées et de demandes en mariage. Certaines femmes ont poussé le vice jusqu’à s’habiller comme ses victimes, dans l’espoir de le séduire.

« Toucher un public plus large »

Thomas Williams évoque un « effet d’entraînement » : plus le tueur est connu, plus il attire ce type de sympathie, plus d’autres personnes estiment qu’exprimer leur soutien est acceptable. Et les réseaux sociaux, où les vidéos de Wade Wilson s’accompagnent de messages vantant sa voix, son sourire ou criant à son innocence, peuvent être un terreau fertile.

« Les espaces en ligne ont grandement renforcé le phénomène, assure le docteur en psychologie. Les gens peuvent exprimer parfois anonymement leur attirance pour des criminels et toucher un public plus large. Cela encourage ensuite les autres à faire de même. » Contrairement au journal intime, où certains s’amusent à écrire en vain le nom de l’heureux élu avec des cœurs sur les « i », TikTok permet d’engranger des vues et des likes.

Cette paraphilie est documentée depuis des décennies, mais elle reste encore mal expliquée. Qu’est-ce qui peut pousser une femme à proclamer sa passion pour un homme comme Wade Wilson ? Pourquoi, comme le rapporte Thomas Williams, certaines femmes tapissent leur chambre d’images d’un meurtrier comme une adolescente le faisait avec le boys band du moment ? Comment une femme peut-elle épouser un homme considéré comme l’un des plus monstrueux de son époque ? C’est ce qu’a fait Carole Ann Boone, mariée à Ted Bundy alors qu’il était dans le couloir de la mort, et mère de son enfant, conçu en prison.

De « 50 nuances de Grey » à Michel Fourniret

Les théories qui expliquent l’hybristophilie « sont nombreuses », répond Thomas Williams. « Elles vont de la victime d’abus [traumatisée] à l’individu lui-même violent, en quête d’un criminel connu pour l’aider dans ses propres intentions criminelles », souligne-t-il. Comme Monique Olivier, qui a débuté sa relation amoureuse avec Michel Fourniret alors qu’il était emprisonné pour agressions sexuelles et a ensuite participé à ses crimes. Robert King cite aussi les « fantasmes sexuels féminins » que l’on retrouve notamment dans la dark romance ces dernières années.

Nos papiers sur les serial killers

« Ces thèmes de l’homme riche, puissant, grand, beau et hautement dominant, qui « asservit la femme » […] ont été trouvés dans des milliards de recherches pornographiques menées par des femmes », rappelle-t-il, citant l’ouvrage A Billion Wicked Thoughts d’Oggi et Gaddams. C’est typiquement le cas dans 50 Nuances de Grey (écrit par une femme, pour les femmes et vendu à plus de 150 millions d’exemplaires). Un monde sépare toutefois celles qui se délectent de ce type d’ouvrages et celles qui planifient leur mariage dans le parloir du couloir de la mort…

* Quelques cas d’hommes souffrant d’hybristophilie ont été recensés.