France

Russie : « Sans visage », l’opposition russe se déchire, un an après la mort d’Alexeï Navalny

«S’ils me tuent, cela ne changera rien », assurait Alexeï Navalny, figure de proue de l’opposition à Vladimir Poutine. Pourtant, un an après sa mort, le 16 février 2024, dans des circonstances suspectes au sein d’une colonie pénitentiaire de l’Arctique, l’opposition russe fait pâle figure. Voire, n’en a plus du tout. « Il n’y a plus de visage, de porte-parole de l’opposition en Russie », glisse Carole Grimaud, chercheuse en Sciences de l’information et de la communication à l’université Aix-Marseille.

« Il y a un souci de reconnaissance de leader depuis la mort de Navalny, abonde Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques à Rennes-II. S’il était critiqué, personne ne contestait qu’il avait une carrure d’homme politique. » Son équipe est toujours en place avec la Fondation anticorruption (FBK), officiellement liquidée en 2021. Mais cette dernière est en bisbille avec les autres acteurs de l’opposition au régime poutinien. « Ils sont totalement fracturés et divisés », résume Carole Grimaud.

Accusations de tentatives d’assassinat

« Ils ont complètement perdu de vue qui est le véritable ennemi. Ce n’est pas le moment de se chamailler [mais] Khodorkovski [un oligarque opposé à Poutine], Katz [opposant et youtubeur russe] et la FBK semblent bien décidés à décider à l’avance qui pourra se qualifier d’opposition », tance un activiste russe, ex-membre de la FBK interrogé par le média russophone Meduza. Chacun espère en effet tirer la couverture à lui et reprendre le flambeau de l’officielle opposition.

Mais « récemment il y a eu des accusations extrêmement graves », ajoute Cécile Vaissié. La FBK a en effet accusé Leonid Nevzline, l’ancien partenaire de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, d’avoir organisé une série d’attaques contre des personnalités clefs de la Fondation. Dont Leonid Volkov, ancien bras droit d’Alexeï Navalny, brutalement frappé à coups de marteau en Lituanie début 2024. Ces accusations « menacent de saper l’ensemble de l’opposition russe » car les deux hommes visés « figurent parmi les principaux sponsors des projets politiques » de l’opposition russe émigrée, explique le site russe indépendant The Bell.

Ne pas « bouger d’une oreille »

Cette discorde met à mal le combat contre le Kremlin qui, en parallèle, devient de plus en plus difficile. « Tout est verrouillé, on est arrivé à des extrêmes presque soviétiques. La liberté de parole n’existe tout simplement plus en Russie », souligne Carole Grimaud. Les quelques personnalités opposées à Vladimir Poutine toujours présentes dans le pays savent que leur vie est menacée.

« A l’intérieur, l’opposition ne peut pas mener de grandes actions, dès qu’ils bougent une oreille, ils ont huit ans de taule ! Certains sont en prison pour avoir liké un post qui touche à la politique sur les réseaux sociaux », illustre Cécile Vaissié. Leur marge de manœuvre est infime et semble se restreindre jour après jour. Après un quart de siècle de pouvoir de Vladimir Poutine, la lassitude pointe parfois le bout de son nez. « Peut-être que si le système semblait au moins instable, mais non, le régime de monsieur Poutine s’est avéré très, très solide. Et il n’y a aucun signe de fissure », confie Maxim, activiste, à Meduza.

« Vous ne nous représentez pas »

Nombre de personnes opposées au régime ont donc fini par fuir le pays. Mais pour elles aussi, la résistance est difficile. « Il y a très peu de solidarité parce que les gens sont partis à des dates différentes et pour des raisons différentes. De plus, il y a des agents implantés par le gouvernement russe dans toutes les vagues d’émigration », explique Cécile Vaissié. « L’opposition est terrifiée, même lorsqu’elle est en exil, abonde Carole Grimaud. Les exilés savent qu’il faut être extrêmement prudents, d’autant plus qu’ils ont souvent encore de la famille en Russie. »

Tous nos articles sur la Russie

Les plus courageux décident d’afficher leur opposition publiquement, malgré les risques. Mais il leur est souvent reproché d’être déconnectés du pays. « Vous ne nous représentez pas », l’un des principaux slogans des manifestations de fin 2011, visant les membres de la Douma élus à la faveur de fraudes électorales, est désormais repris pour parler de l’opposition. « Certains se demandent quelle est l’utilité de faire des marches comme celle organisée par la veuve de Navalny à Berlin en mars 2024, explique Cécile Vaissié. Des critiques disent : « on va crier va t’en Poutine, va-t-il vraiment partir pour autant ? » » Car si les divisions sont nombreuses, l’opposition internationale comme intérieure semble partager le même sentiment d’impuissance.