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Russie : « La guerre n’est jamais le bon moment pour faire des bébés »… Comment le pays perd son combat démographique

Le démographe Alexeï Rakcha évoque un « antirecord ». D’après l’agence russe Rosstat, seuls 195.432 bébés sont nés en Russie en janvier et février, en chute de 3 % par rapport à début 2024. « Il faut se méfier des chiffres mensuels », prévient Sergei Zakharov, chercheur à l’Institut de Démographie de l’Université de Strasbourg (IDUS). Mais la tendance est bien là : en 2023, seuls 1,26 million de bébés étaient venus au monde en Russie selon Rosstat, un total historiquement bas. Et en 2024, le taux de fécondité avait chuté à 1,4 enfant par femme – un niveau inférieur à celui de la France (1,62).

La natalité est en berne, concède l’expert de l’histoire démographique de la Russie, et l’invasion de l’Ukraine n’encourage pas les Russes à la reproduction. « La guerre n’est jamais le bon moment pour faire des bébés », note-t-il. Des centaines de milliers d’hommes sont au front, l’économie patine et l’avenir est plus incertain qu’en temps de paix. Certes, la chute n’est pas « si dramatique » par rapport à 2021, lorsque le taux de fécondité s’élevait à 1,5. Mais d’année en année, la Russie que Vladimir Poutine espère tant étendre aux frontières se vide de l’intérieur.

Un pays qui se vide de l’intérieur

D’ailleurs, cette mauvaise pente démographique ne date pas d’hier : les bébés se raréfient depuis la fin des années 1990. « La Russie a une longue histoire de baisse de la natalité » désormais, observe Sergei Zakharov, qui explique que la population décroît. Après la chute de l’URSS, la Russie comptait 148,5 millions d’habitants dans ses nouvelles frontières. Plus de trente ans plus tard, elle a perdu quelque quatre millions d’habitants.

« Depuis 2007, Vladimir Poutine et son gouvernement ont mis en place des politiques natalistes » pour enrayer la situation, souligne Sergei Zakharov. Les familles ont notamment bénéficié du « capital maternité » qui permettait à l’origine de soutenir financièrement à partir du second enfant. Elle est désormais versée dès le premier enfant et bénéficie d’une revalorisation annuelle.

D’après le journal économique Vedomosti, cité par Courrier International, le « plus cher » des « projets nationaux » de la Russie à l’horizon 2030 concernera la famille. Mais pour Sergei Zakharov, c’est peine perdue : « Ces politiques marchent seulement sur du court terme. Comme dans beaucoup de pays, on donne de l’argent, mais ça ne suffit pas. » Le pays a affiché une légère remontée dans les années 2010 mais celle-ci est restée temporaire.

Entre traditionalisme et divorces

L’autre pan de l’action pro-nataliste du gouvernement se niche au cœur de son discours. Mais alors que Vladimir Poutine annonçait « l’année de la famille » pour 2024, les discours traditionalistes ne semblent pas avoir de prise sur la population russe. « La France est bien plus centrée sur la famille que la Russie, contrairement à ce que les discours de propagande du gouvernement pourraient faire croire. Regardez les taux de divorce en Russie, je ne sais même pas quel pays peut nous faire concurrence sur le sujet ! », s’exclame Sergei Zakharov. En 2024, selon Elena Mikhailova, du Centre russe de recherche sur l’opinion publique (VCIOM), 8 mariages sur dix se terminent en divorce dans le pays.

Dans ce contexte, Moscou peut-il miser sur un baby-boom postguerre en Ukraine ? « C’est très difficile de prédire cela mais après la Seconde Guerre mondiale, la Russie n’a pas fait partie des pays qui ont vécu un baby-boom. Notamment parce que le pays n’a pas bénéficié d’une grande amélioration de la vie quotidienne. La fertilité était déjà assez basse avant la guerre. Et puis le marché du mariage était brisé », explique Sergei Zakharov.

Des millions d’hommes étaient en effet morts au combat. La guerre en Ukraine, elle, n’a jusqu’ici pas été aussi meurtrière pour la Russie, même si l’on estime que plusieurs centaines de milliers de Russes ont perdu la vie en Ukraine, selon des estimations occidentales. Ces disparus n’arrangeront pas la situation. D’après le magazine Géo, les femmes représentent déjà environ 54 % de la population. Sergei Zakharov l’admet, il n’est « pas optimiste » quant à la démographie russe. « C’est une société vieillissante et le taux de fécondité va probablement baisser encore » dans les années à venir. Et ouvrir un nouveau front pour Moscou.