France

Russie : Come-back de stars et de main-d’œuvre… Moscou peaufinerait son « plan » post-guerre en Ukraine

Jusqu’ici, la guerre en Ukraine, que Donald Trump avait promis de résoudre en « 24 heures » après son retour au pouvoir en janvier, poursuit son cours meurtrier. Les Russes ne semblent pas pressés de cesser de « bombarder comme des fous », comme le dit le président des Etats-Unis. Mais en coulisses, le Kremlin réfléchirait à un plan « post-invasion de l’Ukraine ». C’est ce qu’explique le média indépendant russe Verstka dans un article publié le 28 mars et qui s’appuie sur un ensemble de discussions internes rapportées par plusieurs sources.

D’après elles, les autorités travailleraient à une « normalisation » du pays, soit un retour à la « Russie de 2021 », avant le début de l’invasion en Ukraine. Une époque où la répression se faisait moins féroce. Toutefois, « la propagande battait déjà son plein », rappelle l’écrivaine et historienne Galia Ackerman. « Il n’y avait pratiquement aucune liberté de presse, des persécutions massives et des centaines de personnes déclarées agents de l’étranger. »

Réhabiliter une star de la télé

Si le régime était déjà liberticide avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, toute dissidence a donc depuis été méthodiquement écrasée. « Le pays n’était absolument pas libre en 2021, mais les Russes pouvaient encore voyager ou investir à l’étranger. Toutes les portes ne leur étaient pas encore fermées », résume Galia Ackerman. Entre 2021 et 2024, la Russie a dégringolé de 12 places au baromètre sur la liberté de la presse établi chaque année par Reporters sans frontière. Elle occupe désormais le 162e rang sur 180. Moscou a ainsi poursuivi et silencié tous ceux qui s’opposaient, même timidement, à la guerre en Ukraine.

Or dans son « plan 2021 », le Kremlin envisagerait de réhabiliter certaines de ces figures. Ainsi, le nom d’Ivan Ourgant circule, explique Verstka. Cet animateur avait été écarté de l’antenne après un sobre message contre l’invasion publié sur Instagram en février 2022. Son « Peur et douleur. Non à la guerre » lui a coûté son poste. « Ivan Ourgant n’est pas du tout quelqu’un de politiquement actif, il s’est tu après ce message. Il est évident que tout le monde ne pourra pas être réhabilité. Par exemple la chanteuse Alla Pougatcheva, très critique du gouvernement de Vladimir Poutine et de la guerre, ne pourra probablement jamais rentrer », analyse Galia Ackerman.

La fuite des cerveaux russes

Si retour il y a, il ne se fera toutefois pas sans condition. D’après Verstka, le plan du Kremlin prévoit ainsi un repentir obligatoire pour ceux qui seraient réhabilités. Verstka cite une source proche de l’Associated Press selon laquelle Ivan Ourgant est conscient que son émission, si elle reprend, sera encore plus censurée. Le « plan » du Kremlin évoque aussi le retour d’émigrés ayant fui le pays, s’ils n’ont pas publiquement assumé leur opposition à l’invasion. « Le pays a besoin de main-d’œuvre, notamment qualifiée », explique Galia Ackerman.

Lors des vagues de migration russe, ce sont majoritairement des personnes qualifiées qui ont quitté le pays. Ainsi, dès décembre 2022, le ministre russe du Développement numérique évoquait le départ de 100.000 experts en informatique, soit un dixième de la main-d’œuvre du secteur. De son côté, Novaya Gazeta Europe estime qu’au moins 2.500 scientifiques ont quitté la Russie depuis le début du conflit. « Les entreprises ont été obligées d’augmenter les salaires au-dessus de l’inflation pour attirer les travailleurs », explique Galia Ackerman. A tel point qu’ « un sondage récent montre que la proportion de personnes satisfaites de leur niveau de salaire a augmenté de 70 à 80 %. ».

La chimère d’une fin de guerre

De plus, après l’attentat du Crocus City Hall en mars 2024, la Russie a « chassé des dizaines de milliers de migrants et mis en place des exigences drastiques à leur encontre », diminuant encore la main-d’œuvre disponible. Moscou devra donc faire face à « l’impératif économique de faire revenir ceux qui sont partis », note la chercheuse, née en Russie. Toutefois, pour revenir à la Russie de 2021, il faudrait que Vladimir Poutine abandonne ses objectifs de guerre.

« Si pause il y a, elle sera amenée pour produire des stocks de munitions et des armes pour revenir. Car le conflit n’a pas atteint ses principaux objectifs : d’une part, renverser le régime ukrainien et en instaurer un qui soit totalement prorusse ; d’autre part, démilitariser l’Ukraine pour la priver de la possibilité de riposter quoi qu’il arrive », explique Galia Ackerman. « Ceux qui préparent ces plans n’ont peut-être pas compris que l’objectif principal du régime est de s’emparer de Kiev, ou alors ils envisagent toutes sortes de plans. » Verstka assène que « tout est tellement différent qu’il n’y aura pas d’après-guerre. » Tout au plus une période transitoire. Et la Russie, tout comme les relations entre Moscou et Kiev, ne sont pas près de se normaliser.