Rouvrir les maisons closes ? Les travailleuses du sexe veulent des bordels autogérés.
Le député du RN, Jean-Philippe Tanguy, a annoncé une proposition de loi pour encadrer la prostitution et rouvrir des maisons closes, « tenues par les prostituées elles-mêmes, en mode coopératif ». Cette annonce a suscité vives critiques de la part des travailleuses du sexe, dont plusieurs ont qualifié cette initiative d’« effet d’annonce » et d’« hypocrisie ».
On doit l’admettre, cette annonce a été inattendue. Alors que l’Assemblée nationale cherche encore à s’accorder sur un budget pour la Sécurité sociale, le député du Rassemblement National (RN) Jean-Philippe Tanguy a créé la surprise. Son parti travaille sur une proposition de loi concernant la prostitution. Plutôt que de l’interdire, l’objectif est de l’encadrer, en rétablissant des maisons closes. « Mais tenues par les prostituées elles-mêmes, en mode coopératif », a précisé le député de la Somme dans des propos rapportés par le journal Le Monde. Cette annonce a suscité des réactions vives, notamment de la part des travailleuses du sexe, qui dénoncent « un effet d’annonce » et « une hypocrisie », allant même jusqu’à qualifier la proposition de « raciste », comme l’ont déclaré plusieurs d’entre elles contactées par 20 Minutes.
Les maisons closes, interdites depuis une loi de 1946, pourraient-elles donc rouvrir en France ? C’est la perspective explorée par le RN. Actuellement, la loi prohibe le proxénétisme et pénalise les clients, sans pour autant interdire la prostitution elle-même. Ce qui est prohibé, c’est le partage d’un logement, ou le fait qu’une prostituée fasse travailler quelqu’un d’autre, comme une femme de ménage. « Cela est immédiatement considéré comme du proxénétisme. C’est cela que nous voudrions abolir. Parce que cela nous isole, nous précarise. Et en fin de compte, cela nous met gravement en danger », témoigne Mia, trente ans, dont une décennie comme travailleuse du sexe. « Nous voulons des bordels autogérés. Dans mon monde idéal, le terme de prostitution disparaîtrait de la loi. »
La proposition de Jean-Philippe Tanguy semble viser cette possibilité de lieux communs où les prostituées pourraient collaborer, comme dans une coopérative. Cependant, le projet de loi subit des critiques ouvertes. « Il ne passera jamais. C’est un effet d’annonce », déclare Mia, membre du mouvement Les Pétrolettes. « C’est une annonce faite sans consultation et avec des arrière-pensées racistes. Le RN souhaite que les femmes d’origine étrangère ne puissent plus exercer ce métier », renchérit Djohar, porte-parole du Syndicat du travail sexuel (Strass).
L’escort-girl va même plus loin en affirmant que le RN veut « protéger » les clients, qui risquent des poursuites pour avoir recours à une fellation ou un rapport tarifé. « Les gens de droite ou d’extrême droite, la bourgeoisie blanche, ce sont nos clients. Ils veulent se protéger dans leurs pratiques plutôt que de nous protéger, nous, les travailleuses du sexe », dénonce-t-elle.
En 2016, la gauche avait adopté une loi supprimant le délit de racolage passif instauré en 2003 et pénalisant les clients pour tenter d’éviter l’exploitation, mais sans succès. « Cela fait dix ans et c’est un échec total. La prostitution existe parce que certaines personnes ont besoin de gagner de l’argent pour vivre. La loi a juste inversé le rapport de force. Avant, nous pouvions imposer nos conditions. Aujourd’hui, ce sont les clients qui le font », affirme Anaïs de Lenclos, active dans le milieu après une carrière dans le secteur privé. Conséquence : « Les violences ont explosé, de même que le nombre de rapports non protégés. Donc les contaminations augmentent ».
Au-delà de cette annonce du RN, la porte-parole de la fédération Parapluie Rouge attend un texte « qui ne soit pas stigmatisant » et qui « protège réellement les travailleuses », tout en respectant leur « liberté de travailler comme elles le souhaitent ». Une proposition de loi élaborée avec des juristes et des professionnelles du secteur est en préparation.
Pour s’inspirer, certaines évoquent l’exemple de la Nouvelle-Zélande, qui a dépénalisé complètement la prostitution en 2003, après des années de débats animés. Cependant, les inégalités subsistent, avec une protection privilégiant « les natives ». En Europe, plusieurs pays voisins ont déjà assoupli leur réglementation, mais les solutions tentées par les Pays-Bas, la Belgique ou l’Allemagne ne reçoivent pas le soutien des « TDS ».
Les travailleuses du sexe préfèrent le modèle suisse, où des maisons closes accueillent des prostituées légalement, en échange d’une commission sur chaque acte. « Le problème, c’est qu’il y a des gens qui ne font rien et qui prennent une partie de ton argent. Les personnes qui font ce métier veulent autre chose qu’un système qui les exploite », déclare Mia. « Nous souhaitons préserver notre liberté tout en étant protégées, sans entrer dans une logique patronale », ajoute Djohar. Bien que la proposition du RN puisse surprendre, agacer ou diviser, elle a le mérite de remettre le sujet sur la table.

