France

Robert Badinter au Panthéon : les interrogations des Français sur la peine de mort.

L’ancien ministre de la Justice Robert Badinter fait son entrée au Panthéon ce jeudi, marquant l’anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Selon le baromètre annuel du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publié en janvier 2025, 49 % des Français interrogés se disent favorables au rétablissement de la peine capitale.


Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. Ce jeudi, l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter entre au Panthéon. Cet événement célèbre l’œuvre de sa vie : l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Cependant, quarante-quatre ans après, cette réforme, qui ne fait plus l’objet de contestations politiques, semble encore souhaitée par certains.

D’après le baromètre annuel du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) publié en janvier 2025, 49 % des Français interrogés se disent favorables à la réintroduction de la peine capitale, tandis que 29 % s’y opposent totalement. En 2020, une étude menée pour le quotidien Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne révélait même que 55 % des Français interrogés affirmaient qu’il « faudrait rétablir la peine de mort en France », soit plus d’un sur deux. En 2010, ils étaient seulement 34 % à souhaiter son retour, contre 41 % en désaccord avec un tel rétablissement.

Des chiffres préoccupants qui se traduisent parfois sur les réseaux sociaux. « Quel dommage d’avoir aboli la peine de mort ! On en paye le prix fort aujourd’hui », déclare une mère de famille sur Facebook. « Les criminels ont tous les droits », renchérit une autre. En ligne, les commentaires allant dans ce sens se multiplient. Des groupes tels que « Pour la peine de mort » ou « Pour la peine de mort pour les pédophiles » comptent plusieurs milliers de membres exprimant leur colère face à des faits divers.

Pour l’historien Jean-Yves Le Naour, auteur de plusieurs ouvrages sur la question, il s’agit d’une « réaction tripale » plutôt qu’une réflexion raisonnée, en empathie avec la victime. « L’écrivain Arthur Koestler disait qu’il y a en chacun de nous un homme en peau de bête qui réclame du sang, de la vengeance », analyse-t-il. « C’est une idée religieuse, ancestrale : le sang lave le sang, on peut tuer le crime en tuant le criminel. » Certains pensent également que la peine de mort apporte une certaine protection, garantit la fin de l’impunité ou dissuade les criminels. Ces croyances infondées avaient été démontrées lors du débat sur l’abolition, mais elles révèlent « quelque chose de l’angoisse d’une société face au crime, à la délinquance ou à un désir de justice fort », souligne l’historien.

Mais au-delà des motivations des partisans supposés du retour de la peine capitale, la question de son éventuel retour interpelle les deux experts. « Isoler le sujet de la peine de mort en le détachant d’autres questions sur la justice ou les peines de prison est problématique », explique Emmanuel Taïeb, professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Lyon et spécialiste du sujet. « Je ne suis pas sûr qu’on puisse en faire un indicateur d’autorité, car on ne sait pas vraiment ce que les gens signifient par là : faut-il l’appliquer ? L’agiter pour faire peur ? Est-ce qu’on rétablit la pendaison ou la guillotine ? », énumère-t-il.

Ces sondages illustreraient alors plutôt « ce qui se passe depuis une décennie : une brutalisation des débats sociétaux, notamment avec les réseaux sociaux, et un rapport décomplexé à la violence, y compris celle de l’État », observe-t-il. « Les personnes qui se prononcent en faveur du rétablissement de la peine de mort n’ont pas un grand attachement à l’Etat de droit et démontrent une manière très imprudente de renvoyer vers une forme de violence institutionnelle », ajoute le professeur. Tous deux notent une forme de « naïveté » autour de cette solution présentée comme un « miracle » et une méconnaissance de la réalité que recouvre cette peine, exécutée à l’abri des regards depuis 1939.

Sans oublier que revenir sur cette question est juridiquement impossible, rappelle Amnesty International. « On se met dans une posture où l’on se demande si l’on peut rétablir la peine de mort ou non, mais cela n’a pas de sens », déplore Anne Denis, responsable de la commission Abolition de la peine de mort chez Amnesty International France.

« L’abolition de la peine de mort a été constitutionnalisée en 2007. Et pour rester dans l’Union européenne, la France doit être abolitionniste, insiste-t-elle. Rétablir la peine capitale signifie donc devoir quitter l’Union européenne, mais aussi quitter le Conseil de l’Europe. » La France a également signé plusieurs protocoles internationaux et traités interdisant le recours à la peine de mort, sans clauses permettant un retrait.

« C’est une question archaïque, qui relance faussement le débat », conclut Emmanuel Taïeb. Et d’ajouter : « Il ne faut pas se laisser prendre et combattre les réflexes de vengeance que Robert Badinter connaissait et qui lui paraissaient inacceptables. »