Risque-t-on un jour de ne plus manger de noisettes françaises ?
Ils réclament une harmonisation dans l’utilisation des produits phytosanitaires entre la France, l’Espagne et l’Italie. Les 300 producteurs de noisettes réunis sous la bannière de la coopérative Unicoque (90 % de la production française), basée dans le Lot-et-Garonne, payent les pots cassés, après l’interdiction en France de l’acétamipride, un néonicotinoïde qui servait à protéger les récoltes des attaques de ravageurs.
« Sur une récolte attendue de 13.000 tonnes, nos producteurs n’ont pu récolter cette année que 6.500 tonnes de fruits à cause des attaques du ver de la noisette, ou balanin », explique Jean-Luc Reigne, directeur de la coopérative. Mais, à ce ravageur « historique » de la noisette, vient se rajouter depuis quelques années la punaise diabolique, espèce invasive qui a débarqué d’Asie en 2015, et se répand un peu partout en Europe depuis.
Elle a causé d’énormes dégâts cette année, puisque sur les 6.500 tonnes récoltées, « pratiquement 2.000 tonnes sont impropres à la consommation, parce que piquées par la punaise diabolique, qui donne un goût amer au fruit et le rend immangeable ». Résultat ? Une récolte historiquement basse, à 4.500 tonnes seulement.
L’Italie peut utiliser un néonicotinoïde interdit en France
La filière peste d’avoir été démunie de l’acétamipride, quand les autres pays concurrents peuvent encore l’utiliser. « La loi Biodiversité de 2018 a supprimé les néonicotinoïdes, à qui l’on reproche la nocivité sur les abeilles, rappelle Jean-Luc Reigne. Mais cette famille contient cinq substances, et en réalité trois d’entre elles posent vraiment problème – celles-ci ont été retirées au niveau européen –, c’est moins le cas pour les deux autres, dont l’acétamipride, qui nous permettait de nous protéger de ces deux ravageurs. Nous avions obtenu une dérogation de 2018 à 2020, qui nous a permis de passer ces années-là sans trop de soucis, mais elle n’a pas été prolongée, et depuis 2020 l’impact sur nos récoltes se fait de plus en plus ressentir. »
Sur le site Toxibees, la dangerosité de l’acétamipride vis-à-vis des pollinisateurs est qualifiée de « moyenne » (C sur une échelle allant jusqu’à E) tandis que son indicateur « comportement dans l’environnement » est évalué à D, c’est-à-dire élevé. Le « toxiscore » de cette substance est, au final, qualifié « d’élevé », et il est conseillé « d’opter pour une substance moins risquée pour les abeilles ».
« On partage tous cette volonté de protéger le consommateur et l’environnement, soutient Jean-Luc Reigne, mais en l’occurrence, la cible est complètement manquée, puisque l’Italie, membre de l’Union européenne, a en particulier obtenu l’autorisation de l’utiliser jusqu’en 2033. » Sans parler de la Turquie, certes hors UE, mais principal producteur de noisettes au monde, et qui fournit le gros du marché français. « Si ce produit pose vraiment problème, alors il faut interdire toute introduction de fruits traités avec, ou alors il ne pose pas tant de problèmes que cela, et il faut le réautoriser en France », résume le directeur de la coopérative.
La « volonté d’agir » de la ministre de l’Agriculture
La filière de la noisette française commercialise sa production à 55 % à l’export, principalement en Europe. La France, quatrième consommateur mondial avec 50.000 tonnes par an, dont environ 10 % fournis par la production locale, est essentiellement approvisionnée par la Turquie et l’Italie. « A l’arrivée, nous allons donc consommer encore plus de noisettes venant de Turquie et d’Italie, qui ont, eux, la possibilité d’utiliser les produits interdits en France », peste encore Jean-Luc Reigne. « Nous sommes clairement le dégât collatéral du choix politique qui a consisté à vouloir protéger l’environnement et le consommateur, sauf que ni l’un ni l’autre ne seront protégés, et nous allons mourir. »
Les professionnels ont été reçus par la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, mi-novembre. Celle-ci avait, début novembre, regretté devant l’Assemblée nationale des restrictions trop importantes dans l’usage de certains pesticides. « La situation de certaines filières fend le cœur », avait-elle dit, évoquant le cas de la noisette où les exploitants « n’ont rien pour traiter, alors que tous les concurrents européens, eux, traitent. » « Elle connaît très bien la situation, et a manifesté une réelle volonté d’agir, confirme Jean-Luc Reigne. Reste à savoir quand et comment ? Nous sommes dans l’urgence, et il nous faut des réponses rapides pour protéger la récolte de 2025. Nous réclamons également un fonds d’urgence de 30 millions d’euros, pour se relever de cette récolte de 2024. »
Parallèlement, « nous essayons aussi de nous projeter sur l’après 2033, car en dix ans, la recherche a le temps de progresser pour remplacer ce produit, mais encore faudrait-il que l’on soit encore là dans deux ans. »