Retraite dans les Pyrénées : Moniteur de ski à 73 ans, Jean-Louis a toujours la « passion d’enseigner »

« La retraite, pour faire quoi ? Allez dans d’autres pays ? Voir comment les gens sont ? Ici je vois des personnes de toutes les classes sociales, de tous les pays, que je n’aurai jamais rencontrées si je n’avais pas été moniteur. » A 73 ans, dont 54 à enseigner le ski à la station d’Ax-3-Domaines, Jean Louis Fugairon n’est pas près de raccrocher ses spatules et bâtons.
Pas par idéologie. La réforme des retraites ne le laisse d’ailleurs pas indifférent. « A l’âge que j’ai, je pourrai m’en foutre, mais non. Je comprends certaines professions, il y a des métiers très durs qui mériteraient de partir plus tôt. Car si c’est pour prendre sa retraite à 64 ans et aller directement à l’hôpital, ce n’est pas la peine », assène sans mâcher ses mots le fringant Ariégeois. Pourtant, il ne peut s’y résoudre. Il faut dire que depuis sept décennies, les Pyrénées sont ancrées dans ses gènes. Sa vallée aussi, où il a appris à skier vers l’âge de cinq ans sur une seule spatule en bois, partageant avec son frère la paire que ses parents leur avaient payée. Dévalant les pentes enneigées de Bonascre qu’il fallait grimper à pied, à une époque où la station n’était pas encore née.
« La journée je ne la vois pas passer »
Mais s’il chausse encore tous les matins ses skis, malgré des soucis d’artères qui auraient pu le refréner, c’est avant tout parce qu’il est passionné. « Si je continue c’est parce que j’adore enseigner. Là où je suis le plus content, c’est avec des débutants, c’est là qu’on voit les progrès. Comme avec quelqu’un qui n’a jamais vu la neige et qui deux heures après sait descendre une piste verte. La journée je ne la vois pas passer, je fais 8 heures et je ne m’en rends même pas compte », assure-t-il dans un sourire, ses yeux pétillants, égayant son visage bronzé par des semaines passées sur les cimes enneigées.
Assises en face de lui, Florence et ses deux filles, Margot et Mila, avec qui il déjeune, acquiescent. Depuis des années, il leur apprend à descendre les pistes, à améliorer leur dérapage, « le mouvement le plus important dans le ski ». Et chaque année, c’est Jean-Louis que ces fidèles élèves demandent pour leurs cours particuliers pris au sein de l’école française de ski d’Ax. Une école qu’il a un temps dirigée et à qui il reste attaché. « J’ai commencé rouge, je vais mourir rouge », plaisante-t-il en référence à la couleur si spécifique de l’ESF.
Si à ses grandes heures, son planning affichait complet tous les jours de la saison, il a aujourd’hui réduit un peu la voilure. Bon gré, mal gré. « Moi je suis dans ce qu’ils appellent le pacte intergénérationnel. A 62 ans, on vous dit qu’il faut lever le pied pour laisser la place aux jeunes. Quand cette mesure est passée, ça a fait grincer. Mais, dans les écoles de ski, pendant les vacances il y a de toute façon du travail pour tout le monde, hors des vacances, on s’arrange », assure-t-il. Des heures qui complètent un peu la petite retraite de moniteur de 456 euros par mois qu’il perçoit déjà.
Pêcheur, chasseur, montagnard, champignonneur
Mais Jean-Louis n’est pas que moniteur de ski. Hors saison, il a tenu pendant trente-trois ans un grand café dans le centre du village avec ses parents, a été président de la fédération départementale de pêche. Et depuis 1977, presque sans discontinuer, il est élu de la commune d’Ax-les-Thermes, délégué « à la station ». Alors quand il y fait un pas, il tombe à tous les coups sur quelqu’un qu’il connaît. Au restaurant, on connaît ses habitudes par cœur, son petit plaisir de fin de repas, une crêpe au Nutella.
Et quand il n’est pas sur ses planches l’hiver, il arpente les sentiers de randonnée de sa vallée. « Je suis pêcheur, chasseur, montagnard, champignonneur, j’adore la nature. Je ne suis pas un voyageur, je ne sais pas quoi faire en vacances. Mes vacances, c’est ici, dans ces montagnes. L’été je fais des animations pêches pour les petits. En septembre c’est l’ouverture de la chasse et au printemps les morilles », énumère ce célibataire sans enfant, loin de l’image de Popeye joué par Thierry Lhermitte dans les Bronzés font du ski.
Jean-Louis ressemble un peu plus à Fernand Bonnevie, qui incarnait le moniteur de ski de Jean-Claude Dusse, rendu célèbre par sa célèbre réplique « flexion, piqué du bâton, extension ». Ce natif de Val d’Isère, qui a inscrit le planté du bâton au panthéon du métier, a pris sa retraite à 80 ans. Jean-Louis se souvient de l’avoir croisé il y a longtemps, lors d’un challenge de moniteurs. Aujourd’hui, ces compétitions nationales, c’est fini pour lui. Mais pas sa version régionale des Pyrénées. Il a déjà 50 participations à son actif et il ne compte pas prendre sa retraite de ce côté-là non plus.