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Retour d’Oasis : Les fans du groupe sont-ils vraiment de vieux cons « misogynes » ?

La reformation d’Oasis suscite autant de frénésie que de polémiques ! Seize ans après la rupture retentissante des frères Gallagher, les tickets pour la tournée au Royaume-Uni et en Irlande, qui a démarrée ce vendredi à Cardiff, se sont arrachés fin août, non sans créer quelques remous.

« Imaginez que vous ayez attendu 15 ans la reformation d’Oasis pour perdre vos billets au profit de Chloé, 20 ans, conductrice de Fiat 500, originaire de Stockport, qui veut juste entendre Wonderwall en live », s’est plaint un internaute sur TikTok. « Une chose que je ne tolérerai pas, c’est l’âgisme et la misogynie qui entourent l’obtention des billets », a réagi Anaïs Gallagher, 24 ans, la fille de Noel Gallagher.

Le conseil municipal d’Edimbourg appréhende l’arrivée en août de quelque 210.000 Madferits représentant un risque, selon eux, pour le festival Fringe – l’équivalent écossais du festival d’Avignon. Pourquoi ? Les Madferits, comme on surnomme les fans du groupe phare de Manchester, seraient des « cinquantenaires alcoolisés », « gros », « ivres », « turbulents » et « paresseux ». « Votre putain d’attitude pue. Je quitterais la ville ce jour-là si j’étais l’un d’entre vous », a rétorqué Liam Gallagher sur X. Pourquoi les fans d’Oasis traînent-ils cette réputation de vieux cons « alcoolisés » et « misogynes » ?

Qu’est-ce que la « lad culture » ?

Retour dans la Grande-Bretagne du début des années 1990. Chômage, précarité et inégalités en hausse… La classe ouvrière britannique s’est pris une sacrée claque après une décennie de politiques néolibérales menées d’une main de fer par Margaret Thatcher.

Le bastion industriel de Manchester, durement touché par la désindustrialisation, est renommé durant le second Summer of Love « Madchester ». La jeunesse s’y déchaîne sur de l’acid house notamment à l’Hacienda. La Dame de fer a créé un terrain fertile pour une culture de l’individualisme, du carpe diem et de l’anti-establishment. Oasis hérite de cette énergie.

« Le rock a toujours été le son de la classe ouvrière, et ce, depuis les Beatles », explique James Hargreaves, musicien et fondateur de James Hargreaves Guitar, chaîne YouTube dédiée à l’indie britannique. Mais, depuis les sorties respectives de Nevemind de Nirvana et de Ten de Pearl Jam, le grunge américain règne en maître sur les charts.

C’est dans ce climat qu’apparait la lad culture. « Les classes populaires des quatre nations britanniques utilisent le terme “lad” pour désigner à peu près n’importe quel mec », explique l’expert.

« Le lad, c’est « un pilier de pub dont les centres d’intérêt tournent autour du rock insulaire, du ballon rond et des rondeurs féminines », résument nos confrères du Monde. « Il existe une sorte de supériorité méprisante attachée au “lad rock” – une musique créée pour et par des hommes blancs de la classe ouvrière. Oasis, selon la légende, était le bastion du genre », rappelle quant à elle Jenny Stevens dans les colonnes du Guardian.

En quoi Oasis incarnait cette culture ?

« En grandissant, dans les années 1980 et au début des années 1990, en tant que jeune garçon du North Yorkshire, je n’avais jamais entendu une personne célèbre qui me ressemblait. Tous ceux que je voyais à la télé avaient un accent posh neutre du sud ou parlaient comme la Reine. Les choses qu’ils chantaient ne signifiaient rien pour le monde dans lequel je vivais », explique James Hargreaves.

Quand Oasis atteint le top des charts en septembre 1994 avec l’album Definitely Maybe, pour de nombreux jeunes britanniques, c’est une grosse claque ! « Ils ressemblaient à des gens ordinaires, parlaient comme des gens que j’aurais entendus au pub, avec leur accent, et ne s’en excusaient pas, souligne James Hargreaves. C’était à la fois surréaliste et exaltant de réaliser que, tout à coup, mon monde était sous les feux de la rampe et que les gens trouvaient ça cool. »

Avec leurs origines ouvrières, leur accent mancunien assumé, leurs chansons décrivant le quotidien souvent morose des classes populaires comme Cigarettes & Alcohol, Oasis fait mouche. « Ils étaient les leaders d’un mouvement culturel. Certains l’appellent le mouvement BritPop, d’autres, cool britannia mais en tant que personne là à l’époque, je pense que le mouvement le plus associé à Oasis s’appelait la “lad culture” », estime James Hargreaves.

Leur musique devient l’hymne d’une génération qui aspire à vivre fort, aimer vite et envoyer balader les conventions. Obsession pour le Manchester United, attitude provocatrice et parfois régressive (Noel Gallagher disant qu’il espérait que Damon Albarn et Graham Coxon de Blur « attrapent le sida et meurt » ), style de vie marqué par les excès de drogue et d’alcool, mythiques bagarres… Les frasques des frères Gallagher se déchaînant deviennent aussi célèbres que leur musique. Ils ont ainsi reflété, mais aussi amplifié les aspirations et frustrations d’une partie de la jeunesse britannique.

Pourquoi la « lad culture » rime aussi avec sexisme ?

A l’ère post-MeToo, la lad culture se retrouve associée au sexisme. Le comportement d’Oasis a d’ailleurs souvent été problématique. En 1993, Oasis assurait la première partie d’un concert de Liz Phair à Manchester. Selon un article de Vice en 2013, Oasis et leur entourage ont mis le bazar dans sa loge. Lorsqu’elle leur a reproché leur comportement, un ami du groupe lui a dit : « Get your tits out for the lads » (« Sors tes seins pour les mecs »). Une remarque sexiste et dégradante. Liz Phair a publiquement décrit cette expérience comme « rabaissante ».

« Des femmes m’ont fait craquer. C’est arrivé deux fois le mois dernier. Après que je les ai baisées, elles sont allées raconter leur histoire dans les journaux et se sont fait de l’argent avec. C’est normal. Mais je suis entré dans leur gosier et je suis parti, donc je les ai eus. Match nul 1 – 1, bébé. », déclare encore Liam Gallagher dans un article de Rolling Stone paru le 2 mai 1996.

Dans une interview citée par Vice, Noel Gallagher a partagé une liste de ses groupes préférés, tous menés par des hommes, en précisant qu’il « n’autorisait pas les femmes » sur cette liste.

Les magazines masculins comme Loaded, FHM et Maxim, piliers de la lad culture tirant alors à 1,2 million d’exemplaires, mettaient régulièrement Oasis en couverture, les présentant comme des icônes de la masculinité britannique. Des publications critiquées pour leur objectification des femmes (photos suggestives, classements comme « 100 femmes les plus sexy ») et leur ton sexiste.

Oasis est-il un groupe misogyne ?

Oasis n’est pourtant pas un groupe explicitement misogyne, mais leurs déclarations provocatrices et l’ambiance de leurs concerts ont contribué au climat d’une époque où le sexisme était toléré et normalisé et à renforcer des stéréotypes masculins. « Oasis a toujours eu une profondeur qui trahissait son image publique. Les premiers textes de Noel parlaient de possibilités, d’évasion et de pouvoir collectif, et non d’hymnes masculins et grossiers », tempère Jenny Stevens.

Le documentaire Supersonic, disponible sur Arte, montre aussi que ce groupe de rock masculin s’appuyait en coulisses sur un noyau de femmes dans une industrie dominée par les hommes : Peggy Gallagher, la mère de Noel et Liam, Maggie Mouzakitis, organisatrice de tournée du groupe pendant treize ans, Anjali Dutt, l’une des premières productrices de Definitely Maybe ou encore Emma Greengrass, la responsable marketing du groupe.

Mépris de classe ou « lad culture » problématique ?

« Dans la plus pure tradition de la classe ouvrière britannique, horriblement déformée et sous-représentée par les pouvoirs en place, la lad culture a aujourd’hui très mauvaise presse », déplore James Hargreaves. Mépris de classe uniquement ? La culture lad a véhiculé une image de la masculinité hétéronormée, stéréotypée et toxique. Cela fait consensus dans les Gender Studies actuelles.

Mais dans la lad culture, « il y avait des filles, elles buvaient beaucoup, se droguaient autant, et elles rigolaient comme des folles », raconte la journaliste musicale Sylvia Patterson dans Vice. Ces filles, ce sont les « ladettes ». Dans Gender and the Media (2007), la sociologue Rosalind Gill argue qu’elles reflétaient une forme de « post-féminisme » où les femmes adoptent des comportements masculins pour s’intégrer, mais sans remettre en question les structures patriarcales. Cette audace féminine a pu cependant préfigurer les énergiques Spice Girls et leur Girl Power, qui, malgré ses limites, cherchait à célébrer une identité féminine autonome.

Alors, peut-on réduire les fans des années 1990 à de vieux cons sexistes ? Sur les réseaux sociaux, Anais Gallagher a partagé des réflexions sur la manière dont son père, Noel, et son oncle, Liam, sont perçus, expliquant que cette image de masculinité hyperagressive ne reflète pas leur personnalité réelle. Le groupe Oasis, et la lad culture qu’ils ont personnifiée, reflète le climat d’une époque. Depuis l’annonce de leur reformation en 2024, Noel et Liam ont ainsi adopté un ton plus mesuré.