Réseaux sociaux : Avec leur charte, les médecins créateurs de contenus signent un « nouveau » serment d’Hippocrate

«Est-il possible de prévenir un accident vasculaire cérébral ? », « Docteur commente un épisode de Dr. House », ou encore « Questions réponses sans tabous » : sur Instagram, les Reels regorgent de vidéos en lien avec la médecine. De plus en plus de professionnels de santé eux-mêmes passent devant la caméra. Si bien que l’ordre des médecins a adopté, le 16 janvier, une « charte du médecin créateur de contenu responsable », histoire de rappeler quelques règles déontologiques face aux dérives.
« Quand je suis arrivé en juin 2022, notre section s’inquiétait du nombre exponentiel de signalements que l’on recevait sur des pratiques de soins non conventionnels qui partaient en dérive thérapeutique, dérive sectaire ou exercice illégal de la médecine », se rappelle la docteure Claire Siret, présidente de la section santé publique de l’ordre des médecins. Ce dernier a contacté plusieurs plateformes, et c’est YouTube qui a répondu aux sollicitations et invité plusieurs créateurs de contenus dans un groupe de travail. « Les médecins créateurs de contenus ont été très intéressés parce qu’ils sont très soucieux d’avoir une démarche de qualité en information de santé », assure Claire Siret.
« Cadrer l’activité » des médecins créateurs de contenus
Nawell Hadouiri fait partie des invités. « Dr_nawell2.0 » sur Instagram, son compte affiche un peu plus de 84.000 abonnés. « Au bout de la première réunion, l’idée a été de créer une charte de bonnes pratiques pour identifier cette activité, mais aussi pour accompagner les personnes qui veulent se lancer dans la création de contenus », explique la praticienne en médecine physique et de réadaptation au CHU de Dijon.
Concrètement, que contient donc cette charte ? D’après Nawell Hadouiri, les trois commandements principaux peuvent se résumer au fait de produire « de l’information de santé, pas du buzz sur un phénomène actuel », d’être « raccord avec les connaissances de santé actuelles », et enfin de se montrer « prudent dans la façon de communiquer, que ce soit avec les utilisateurs ou entre professionnels ». Olivier Marpeau, alias « Mon Gynéco », quand même 912.000 followers sur Instagram, avait été approché mais n’a pas participé à la rédaction de la charte. Il y voit tout de même un progrès. « Cela permet de cadrer notre activité et surtout de bien nous identifier, pour que les gens qui tombent sur ces vidéos sachent qui leur parlent », salue-t-il.
De plus en plus de fake news médicales sur les réseaux sociaux
Mais il y a encore beaucoup à faire. « Cette charte ne va pas empêcher la présence sur les différents réseaux de contenus non vérifiés et dangereux », regrette Olivier Marpeau. Le phénomène s’est notamment intensifié depuis la pandémie de Covid-19. « Il y a eu une explosion de la communication numérique et notamment de l’outil vidéo, rapporte Nawell Hadouiri. La période a amené beaucoup de questions sur la santé, mais aussi beaucoup de théories complotistes, de fake news, de la désinformation médicale. En tant que médecin, c’est bien de rétablir l’équilibre. » Plusieurs gourous des réseaux sociaux se sont ainsi fait épingler comme Thierry Casanovas, mis en examen en 2023 pour exercice illégal de la médecine. Il prétendait soigner le cancer avec des jus de fruits.
D’autant que les internautes sont très friands de ce type de contenus. Qui n’a pas envie de savoir comment soulager son mal de gorge en trois clics ? « En France, on manque de médecins, constate la docteure. Quand les patients doivent attendre des mois avant d’avoir un rendez-vous, ils recherchent des réponses sur Internet. » Et ce même si le conseil personnalisé reste strictement interdit, comme le rappelle d’ailleurs la charte de l’ordre.
Servir de label
Et pour ceux qui ne respecteraient pas la charte, l’Ordre a prévu de sévir. « Tout médecin qui ne suit pas les règles [de la charte, qui reprennent celles du code de déontologie], s’il est signalé, est susceptible d’avoir une procédure disciplinaire qui peut même mener à une sanction », affirme Claire Siret. Elle espère que le respect de cette charte pourra agir comme un label, similaire au « certificat de l’influence responsable » décerné par l’autorité de régulation professionnelle de la publicité.
Olivier Marpeau, lui, espère qu’à part YouTube, d’autres plateformes se saisiront de cet enjeu, « notamment Meta, même si les dernières nouvelles ne sont pas très réjouissantes sur le plan de la modération ». Le gynécologue souhaite aussi voir le principe étendu à d’autres champs. « Il y a beaucoup d’autres professionnels de santé qui sont sur les réseaux comme les sages-femmes, les dentistes ou les kinés, énumère-t-il. J’espère qu’il y aura une charte un peu commune pour rassurer le public, mais aussi pour les créateurs. Dans d’autres métiers, certains sont attaqués par les conseils de l’ordre pour des raisons parfois peu confraternelles. »