France

Réforme des retraites : Pourquoi l’intersyndicale attend jusqu’à jeudi prochain pour une nouvelle journée de grève ?

L’adage est connu : « Il faut battre le fer tant qu’il est chaud ». Dès lors, la décision de l’intersyndicale, jeudi, de choisir la date du 23 mars, dans une semaine, pour la neuvième journée de grève contre la réforme des retraites peut surprendre. Une impression renforcée par la colère manifeste d’une partie de la population quelques heures après la décision du gouvernement d’utiliser le 49.3 pour faire passer son projet de loi. Des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, des ronds-points ont été – et sont toujours – occupés, des routes bloquées et des voitures incendiées. Et rebelote ce vendredi. Pourquoi donc les syndicats ne capitalisent-ils pas sur ce « momentum » et attendent sept longues journées ?

Parce qu’une grosse grève, ça se prépare

Attention à ne pas confondre vitesse et précipitation. « S’ils veulent réussir leur manifestation, il leur faut un minimum de temps pour mobiliser le plus de monde possible. Se donner sept jours pour organiser un rassemblement réussi et efficace, cela n’a rien de surprenant, c’est un temps très correct », estime Guy Groux, sociologue spécialiste du syndicalisme au Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof).

On peut d’ores et déjà éliminer ce vendredi, avec un 49.3 décidé hier à 15h20. Lundi saute également, car une forte mobilisation peut difficilement s’organiser durant le week-end, de nombreux syndiqués étant aussi parents. Et au-delà des préparatifs, « des délais légaux de cinq jours sont parfois nécessaires pour des préavis de grève », poursuit une source syndicale interrogée par 20 Minutes.

Parce que la grève nécessite un jour stratégique

Vous l’aurez peut-être remarqué, la plupart des journées de forte mobilisation se déroulent un mardi ou un jeudi. Et cela n’est pas dû au hasard, mais à la nécessité d’être le plus nombreux possible. Les vendredis et lundis sont donc souvent bannis, car des travailleurs peuvent avoir posé leurs congés pour des week-ends prolongés. Idem pour les week-ends ou le mercredi, vu comme jours potentiels de garde d’enfants. Ainsi, la manifestation du mercredi 15 mars, pourtant décisive à la veille du scrutin à l’Assemblée nationale, avait réuni deux fois moins de monde – quelle que soit la source (syndicats et police) – que celle du mardi 7 mars.

Or, la prochaine journée de mobilisation s’annonce décisive après ce 49.3, et le nombre de manifestants sera scruté de très près. Ce qui explique le choix du jeudi plutôt que du mardi, poursuit la source syndicale : « au moindre chiffre de baisse, on accuse le mouvement d’essoufflement. Laisser jusqu’à jeudi pour se remobiliser semble plus judicieux que de faire trop rapidement le mardi, et voir de potentiels manifestants ne pas venir. Il faut éviter que les grosses journées soient trop rapprochées »

Parce que le vote sur les motions de censure aura eu lieu

« Il est normal d’attendre que la journée de lundi, où le vote sur les motions de censure contre le gouvernement doit avoir lieu, passe. Si le gouvernement tombe, ça change quand même beaucoup de choses », estime Guy Groux. Certes, ces motions ont peu de chances d’aboutir, « mais il faut à chaque mobilisation des objectifs clairs. Là, il y a un trop gros flou d’ici à lundi. »

Parce qu’il se passera quand même des choses d’ici là

Des « actions de proximité » sont déjà prévues ce samedi 18 mars, rappelle Joël Sohier, maître de conférences à l’université de Reims, auteur de Le syndicalisme en France (Explicit’, 2010). En optant pour ce système, les syndicats s’évitent une gestion trop complexe et donc chronophage, les rassemblements étant isolés les uns des autres. Un mode d’action qui « permet également de faire monter la pression et d’activer la mobilisation petit à petit pour jeudi partout sur le territoire, avec des actions plus proches des gens », poursuit Guy Groux.

Plusieurs syndicats de l’Education nationale appellent également à poursuivre la mobilisation, y compris par la grève des surveillants lors des épreuves de spécialité du baccalauréat, entre lundi et mercredi. Le trafic SNCF s’annonce aussi perturbé dans les prochains jours. « Sans compter les blocages dans les dépôts pétroliers, les grèves des éboueurs, avec des syndicats soutenus par leurs confédérations », poursuit Joël Sohier. Ce que confirme la source syndicale citée plus haut : « Il y a une volonté de laisser un maximum d’indépendance aux actions locales qui veulent poursuivre une mobilisation en continu ». Bref, le pays ne tournera pas tout à fait normalement ces prochains jours. « La garde n’est pas levée », résume Joël Sohier.

Parce qu’il y a peu de chance que le soufflé retombe d’ici là

Au vu de la colère exprimée depuis jeudi soir, des opinions défavorables dans les sondages et des précédentes mobilisations – les plus importantes depuis 1995 –, il y a peu de chance que la pression retombe en une semaine. Raison de plus pour ne pas se précipiter : « On est sur une crise sociale majeure et dans un processus allant vers une grève générale, atteste Joël Sohier. Ce processus a besoin de moments forts pour aboutir, et les syndicats se savent très attendus. La pression est aussi sur eux. La journée de jeudi pourrait être une étape décisive vers cette grève générale ». Même avis de la source syndicale : « Jeudi prochain, on vise quelque chose de grand ». Plutôt que battre le fer tant qu’il est chaud, les syndicats préfèrent donc en faire l’arme la plus puissante possible.