France

Réforme des retraites : Le jour où le gouvernement a failli tomber

La journée a commencé par un paradoxe à l’Assemblée nationale. Avant d’entamer le débat sur les deux motions de censure déposées en réponse que 49.3 sur la réforme des retraites, les députées et députées se sont levés et ont applaudi la libération du journaliste Olivier Dubois, otage au Mali depuis 2021. Gageons que ce n’est pas ce que l’histoire retiendra de cette séance, qui a vu le gouvernement échapper à une censure par seulement neuf voix. On savait l’Assemblée très divisée depuis les législatives qui n’ont donné de majorité absolue à personne, mais les antagonismes semblent culminer.

Symbole de ces clivages qui se creusent, c’est donc le modéré Charles de Courson qui a porté l’accusation contre le gouvernement pour la motion de censure dire « transpartisane » du groupe Liot (Liberté, indépendants, outre-mer et territoires), soutenu par la Nupes. Le député de la Marne a d’ailleurs bien insisté sur le lourd sens de la démarque de son groupe composé de député divers gauche et divers droite, pas vraiment des boutefeux : « Nous avons toujours joué le jeu de l’écoute et du dialogue. Notre groupe n’a d’ailleurs pas voté jusqu’à ce jour les précédentes motions de censure. »

« Une France au bord du précipice pour 1 milliard… »

Pas franchement charismatique, le nez sur ses feuilles, Charles de Courson n’en n’a pas moins livré un réquisitoire clinique et sanglant de la méthode du gouvernement. « Ce texte a marqué la mort des engagements pris en juillet dernier. Madame la Première ministre, relire aujourd’hui votre discours de politique général est cruel. Je vous cite :  »Nous mènerons pour chaque sujet une concertation dense. Nous aborderons chaque texte dans un esprit de dialogue, de compromis et d’ouverture. » Eh bien vous avez échoué à rassembler, à convaincre et vous avez cédé à la facilité en refusant la sanction du vote. »

Le doyen d’élection des députés pense que ce vote aurait été perdu « mais, c’est la règle en démocratie », a-t-il très simplement rappelé. Il a dénoncé « un détournement de l’esprit de la constitution ». Et tout ça pour pas grand-chose, pense Charles de Courson : entre les concessions à LR et les effets induits sur les dépenses sociales (chômage, maladie, invalidité, RSA…) sur report de l’âge de la retraite, il n’y aura pas, d’après lui, 17,7 milliards d’euros d’économie par an mais à peine 1. « Une France au bord du précipice pour 1 milliard… », a souligné Courson, comme une estocade.

Stratégie innovante

Les prises de paroles des autres groupes d’oppositions ont été plus classiques. L’insoumise Mathilde Panot a établi ce qu’elle considère être une trahison des macronistes envers les Françaises et les Français. L’écolo Cyrielle Chatelain s’est fait le relais des manifestantes et manifestants. Le socialiste Boris Vallaud a comparé le 49.3 à un « quoi qu’il en coûte démocratique » et le RN a fait la pub de son programme avec un seul objectif en tête : 2027. De rudes coups sont aussi venues du LR Olivier Marleix : « Ne vous étonnez pas que les Français n’approuvent pas votre réforme, le président lui même il y a trois ans la critiquait (…) Le bras d’honneur n’est pas une méthode de gouvernement. »

En défense, la majorité a tenté la contre-attaque tout azimut, par la voix d’Aurore Bergé pour Renaissance. Elle a bien entendu dénoncé « une motion de censure qui de facto est un programme commun », constitution à la main. Laquelle constitution dit l’inverse. Et d’imaginer un gouvernement avec « Charles de Courson à Matignon, Marine Le Pen à Bercy, Mathilde Panot à l’Intérieur et Aurélien Pradié aux Relations avec le Parlement. » Car la présidente des députés et députées macroniste a continué la stratégie des derniers jours qui consiste à taper comme des sourds sur les oppositions, et LR en particulier. Stratégie innovante lors d’un vote où la survie du gouvernement dépendait du vote des élus et élues de ce parti.

Comme si de rien n’était

Cela n’a pas empêché Aurore Bergé de se demander: « Serons-nous capables dans cet hémicycle avec la majorité et les personnes de bonne volonté de droite et de gauche de voter des textes structurants ? » Après un tel discours, la question se pose.  « Elle était offensive, mais il fallait le faire », juge-t-on dans un ministère. La Première ministre a aussi entamé sa prise de parole de manière très véhémente sur la tenue des débats à l’Assemblée : « Des chants, des hurlements, des invectives, des pupitres qui claquent (…) un déchaînement de violence comme la Ve République en a peu connu », a-t-elle jugé, considérant que l’antiparlementarisme était à l’œuvre dans les oppositions.

Élisabeth Borne s’est ensuite attachée à défendre sa réforme des retraites et le compromis voté en commission mixe paritaire entre Assemblée nationale et Sénat. Les arguments classiques du gouvernement des dernières semaines… Un peu comme si de rien n’était. On avait presque l’impression que la Première ministre aurait pu prononcer ce discours jeudi, si le gouvernement était allé au vote. Quitte à passer par le 49.3 – qui permet l’adoption d’un texte sans vote, pour peu qu’une motion de censure ne soit pas adoptée dans la foulée – autant l’assumer à fond. Le risque est néanmoins d’aggraver l’impression de déni gouvernement et de la majorité.

La réforme des retraites considérée comme adoptée

Dans ce contexte, la prise de parole plus mesuré du président du groupe Horizon, le parti d’Edouard Philippe, Laurent Marcangeli, a apporté un peu de contraste. Tout en soutenant très clairement le gouvernement, la Première ministre et la réforme des retraites, le Corse a estimé que, dans la situation actuelle, « les torts sont partagés, des erreurs ont été commises de part et d’autre ». Il a même appelé à « une introspection » de la majorité. Il n’est pas le seul à la penser, mais enfin, à l’issue du vote sur les motions de censure, les députés de la majorité n’étaient pas légion, et c’est peu de le dire, pour venir analyser la situation politique nouvelle, où 19 députés LR, deux fois plus qu’attendus, ont voté la censure.

Les rares à avoir mis un pied salle des Quatre Colonnes à la rencontre des journalistes n’avaient pas bien plus de solution à proposer pour la gouvernabilité du pays dans les semaines set et mois qui viennent. Mais avaient plutôt tendance à considérer que la balle était dans le camp des oppositions ( « dans une situation de majorité relative, la responsabilité des oppositions est absolue », pense Sacha Houlié) car le gouvernement en avait déjà beaucoup fait ( « franchement on a tout essayé, on a concerté dans tous les sens depuis juin ! », juge Jean-René Cazeneuve). On se demande bien ce que règle cette victoire à 9 voix près du gouvernement, qui semble apporter pour de questions que de réponses. Les macronistes se raccrochent à l’essentiel : la réforme des retraites est considérée comme adoptée au Parlement. Mais à quel prix ?