France

Réforme des retraites : Le gouvernement « transformé en un call center géant » avec les députés pour éviter le 49.3

C’est le « money time » pour la réforme des retraites. Après l’adoption d’un texte modifié par LR au Sénat, samedi, une commission mixte paritaire (CMP) qui réunit sept députés et députées et sept sénateurs et sénatrices, doit négocier mercredi un compromis entre les deux chambres. Si cette CMP est « conclusive » (ce qui est probable vu que la majorité des parlementaires présents sont favorables à la réforme), le Sénat, jeudi matin, et l’Assemblée nationale, jeudi après-midi, se réuniront pour un vote solennel sur le texte.

Au Sénat, le gouvernement est serein. A l’Assemblée, rien n’est moins sûr. « Je suis incapable de vous dire si ça va passer. On va tout faire pour, ça va se jouer à peu de choses », décrit le proche d’un ministre en vue. Le gouvernement, qui ne dispose que d’une majorité relative à la chambre basse, compte sur les voix des députés LR. A priori, il y a un accord avec le parti de droite qui réclame à cor et à cri un âge de départ en retraite plus tardif depuis des années. Mais une minorité non négligeable autour du député du Lot Aurélien Pradié critique un texte trop dur, notamment pour les personnes qui ont commencé à travailler tôt.

Tableau des pour, des contres, des abstentions

« C’est quand même une réforme de droite, lâche la source gouvernementale citée plus haut. C’est triste à dire mais pour LR c’est le chant du cygne. Pour moi la droite c’était la culture du chef. Là, il n’y a plus de colonne vertébrale, rien n’est tenu… » Devant cette incertitude, l’hypothèse d’une nouvelle utilisation de l’article 49.3 – qui permet l’adoption d’un texte sans vote, pour peu que le gouvernement ne soit pas renversé par une motion de censure dans la foulée – est revenue en flèche la semaine dernière. « Moi je n’en veux pas du 49.3, mais enfin l’effet d’être battu sur cette réforme serait encore pire », juge un député macroniste qui reconnaît que s’il était LR il ne voterait pas le texte : « C’est nous faire un cadeau politique pas possible de voter la réforme ! »

Ce week-end, les ténors du gouvernement et de la majorité, notamment Gabriel Attal, Stéphane Séjourné et François Bayrou, ont freiné sur le 49.3, rappelant que la priorité était de trouver une majorité pour aller au vote jeudi. Alors, « la réalité c’est que le gouvernement s’est un peu transformé en un call center géant, décrit un conseiller de Bercy. Chacun essaye avec ses contacts, son réseau et ses amitiés politiques de convaincre les uns et les autres de voter la réforme. » Le même de décrire les conseillers parlementaires de son ministre en train de placer chaque député et députée sur un tableau, dans la colonne des pour, des contres et des abstentions.

Un « effet compromis » à l’Assemblée ?

Au gouvernement, l’ambiance est « lourde et prudente » aux yeux de l’un, « fébrile et inquiète pour l’autre ». « Studieuse », au ministère des Relations avec le Parlement, en première ligne ces jours-ci. Un conseiller de Franck Riester invite à « ne pas anticiper, mais à y aller étape par étape. Si non, en situation de majorité relative, on ne respire plus. » Il insiste sur l’importance de la CMP de mercredi, où le gouvernement n’est pas présent… Même si les choses sont calées avec les représentants de la majorité présidentielle, notamment lors d’une réunion à Matignon lundi soir. « Jusque-là on est qu’en préparation de la CMP. C’est après que la prise de décision va s’accélérer, quand les parlementaires auront un texte définitif sous les yeux », explique-t-il.

D’habitude, une CMP conclusive, où le Sénat et l’Assemblée nationale ont trouvé un accord, incite plutôt les députés et députées à voter le texte, une sorte d’« effet compromis ». « Mais on sait bien que ce sont les retraites, qu’il y a la pression de l’opinion », reconnaît le conseiller. « On n’a pas des conversations abstraites ou de philosophie politique avec les députés qu’on a au téléphone, assure le conseiller de Franck Riester. Non, ils nous parlent de leurs amendements, de propositions très concrètes. Un tel nous dit que si on conserve telle mesure sur les mères de famille ça sera important pour son vote… »

Le mutisme d’Edouard Philippe

S’il n’y avait que les LR… Mais si la situation est aussi chaude c’est que la majorité a donné quelques signes de faiblesses. A la marge, certes, mais dans une situation aussi serrée ça compte. Une dizaine de voix sont encore molles, des députés et députées qui hésitent entre voter pour, s’abstenir… Voir voter contre. Chez Renaissance, c’est clair, ceux et celles qui ne voteront pas pour seront exclus du groupe. Est-ce que la sentence sera aussi rude chez les partenaires de la majorité ? Yannick Favennec, député du parti d’Edouard Philippe Horizon, a officialisé son opposition.

« C’est lunaire, c’est dingue ! », s’énerve le conseiller d’un ministre en vue qui note que Stéphane Séjourné, secrétaire général de Renaissance, et François Bayrou, président du MoDem, se sont exprimés ces derniers jours, mais pas Edouard Philippe. « Ça serait important qu’il parle, c’est sa crédibilité et celle de son parti qui se joue là. » « On n’est pas à l’abri d’une surprise », ajoute celui qui se dit néanmoins confiant « vu le volontarisme de Matignon et de l’Elysée… En espérant que ce ne soit pas de la méthode Coué. » Ça sera à quitte ou double. « Soit c’est le 49.3 et c’est cata, soit ça passe et ça montre que notre travail de concertation depuis des mois a payé », explique une autre source gouvernementale. C’est presque tout un quinquennat qui se joue dans les soixante-douze prochaines heures.