France

Réforme des retraites : La police abuse-t-elle des gardes à vue ?

La colère de la rue ne s’estompe pas. Depuis que la Première ministre a annoncé jeudi dernier le recours à l’article 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites, des manifestations sont organisées tous les jours, un peu partout en France. Samedi soir, à Paris, les protestataires se sont réunis place de la Concorde, où les rassemblements étaient pourtant interdits par arrêté de la Préfecture de police. Selon le ministère de l’Intérieur, 400 contrôles ont eu lieu et 12 personnes ont été interpellées. Le 13e arrondissement de la capitale, dans lequel 4.200 personnes se sont déportées, a été également le théâtre de heurts avec la police dans la soirée. Dans le secteur de la place d’Italie, la police a procédé à 110 arrestations. Dans d’autres villes, 47 autres personnes ont été interpellées.

Il faut préciser qu’il n’est pas interdit de participer à une manifestation non déclarée. Depuis 1935, il est obligatoire de signaler à la préfecture ou à la mairie une manifestation au préalable. Les organisateurs d’un rassemblement non déclaré encourent jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7.000 euros d’amende. En revanche, dans un arrêt du 8 juin 2022, la Cour de cassation rappelle que « ni l’article R. 610-5 du Code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée ». Seule la participation à une manifestation interdite après déclaration est passible d’une amende de 4e classe.

« Réaction des pouvoirs publics »

Jeudi dernier, quelques heures après l’intervention d’Élisabeth Borne devant l’Assemblée nationale, environ 10.000 opposants à la réforme s’étaient réunis spontanément place de la Concorde. 292 manifestants avaient été interpellés et placés en garde à vue ce soir-là. Seuls neuf ont été déférés, et toutes les autres gardes à vue ont été levées sans poursuites. De là à penser que les forces de l’ordre font du zèle ?

Lors de ces manifestations, les forces de l’ordre peuvent procéder « à des interpellations administratives, afin de vérifier l’identité d’une personne pour une durée de 4 heures maximum. Ça montre qu’il y a une réaction des pouvoirs publics », nous explique Jean-Christophe Couvy, secrétaire national du syndicat Unité SGP police FO. « Mais on peut aussi interpeller des gens parce qu’ils ont commis des infractions caractérisées, des dégradations ou des violences, et dans ce cas, on les place en garde à vue après avoir informé le procureur de la République des faits commis », poursuit-il.

A l’issue des gardes à vue, les procédures peuvent être classées sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d’infraction. Le suspect peut également être présenté à un délégué du procureur. Le magistrat peut alors décider de prononcer un rappel à la loi ou le renvoyer devant un tribunal pour être jugé en comparution immédiate.

« Dissuader par la peur les manifestants »

« Les gardes à vue de masse qui ont été décidées sont pour nous un véritable détournement de l’appareil judiciaire au service du maintien de l’ordre, dénonce la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Nelly Bertrand, contactée par 20 Minutes. La répression policière violente est destinée à dissuader par la peur les manifestants d’exprimer leur opposition à la réforme et à l’utilisation du 49.3. » L’objectif des autorités est, dit-elle, de « faire en sorte que les personnes placées en garde à vue, ne soient plus en mesure de manifester durant 24 ou 48 heures ».

Nelly Bertrand ajoute que si 283 interpellations sur 292 ont fait l’objet d’un classement sans suite, c’est parce qu’il « n’y avait pas d’éléments suffisants prouvant que ces personnes avaient commis une infraction ». Jean-Christophe Couvy, d’Unité SGP Police FO, reconnaît que ces gardes à vue font « du chiffre sur lequel l’administration et les politiques communiquent ». « Mais derrière, on n’en fait rien, regrette-t-il. Cela donne à ceux qui ont été interpellés un sentiment d’impunité et ils pensent derrière qu’ils peuvent continuer. »