France

Réforme des retraites : « La majorité n’a jamais été en mesure d’en montrer les bienfaits », déplore Laurent Marcangeli

Après une motion de censure qui a échoué de peu, et avant la prise de parole du président de la République mercredi à 13 heures, plusieurs membres de la majorité semblent désarçonnés. Quelle suite donner au quinquennat, que changer en macronie ?

Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons, le parti d’Edouard Philippe, membre de la majorité, a tenu un discours modéré lors du débat sur les motions de censure. Auprès de 20 Minutes, il appelle à nouveau à une « introspection » dans la majorité, dont il déplore qu’elle ait été incapable de mettre en avant « les bienfaits » de la réforme des retraites.

Le gouvernement a échappé à la censure à 9 voix près lundi. Est-ce l’échec de la méthode Borne, qui devait trouver des compromis ?

Ce n’est pas forcément l’échec de la méthode Borne, mais la marque de la difficulté à trouver un compromis. On ne va pas faire semblant de se réveiller et de s’apercevoir qu’en France, les consensus sont durs à trouver. Ça ne date pas d’hier, mais il s’avère qu’aujourd’hui dans l’Hémicycle, mais aussi dans la société française, les consensus sont de plus en plus difficiles. Mais cela aurait pu être pire : la motion de censure aurait pu l’emporter.

Dans votre discours de soutien au gouvernement lundi, vous avez estimé que les torts étaient partagés. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné du côté du gouvernement, sur cette réforme des retraites ?

Je ne veux pas jeter la pierre à qui que ce soit. D’ailleurs, je m’inclus dans ce questionnement parce que je préside un des groupes de la majorité. On n’a pas été en mesure, à aucun moment, même jusqu’à la fin de l’examen du texte, de montrer les bienfaits de la réforme sur de nombreux sujets : les femmes, les carrières longues… A titre personnel, cela me laisse un goût amer parce qu’il y avait tout de même 7 milliards d’euros d’améliorations, de réparation, de la justice dans le texte, et on n’en parlera pas.

Un exemple : la question des carrières reconstituées, notamment pour les personnes qui ont fait des travaux d’utilité collective (TUC). C’est Paul Christophe qui a convaincu le gouvernement de le mettre, cela concerne 2 millions de personnes, parfois des personnes qui ont travaillé pendant six ans avec ces contrats-là. Philippe Martinez lui-même a dit que s’il y avait une chose de bien dans cette réforme, c’était ça. Il n’y avait pas, comme j’ai pu l’entendre, uniquement de l’injustice et du massacre dans la loi.

Donc oui, il y a une forme d’amertume, et plutôt que de dire que c’est la faute des LFI, du RN ou de Tartempion, peut-être qu’on n’a pas été en mesure de bien porter la chose. En tout cas, en tant que président d’un groupe de la majorité, je me remets en question. Peut-être que dans les jours qui viennent, il va falloir qu’on fasse un peu d’introspection sur nos méthodes, sur notre communication, pour rendre les choses plus claires au regard des Français.

Concrètement, que peut donner cette introspection ?

C’est par exemple à chaque fois qu’on porte un texte en amont, essayer de préparer au mieux une communication intelligible, faire comprendre aux gens l’intérêt des réformes qu’on propose, échanger, ne pas être pris par le temps, avoir une vision plus stratégique, même si on a toujours l’obligation de l’instant quand on est ici.

Être dans une forme de pédagogie. François Bayrou a dit à peu près la même chose : peut être qu’on n’a pas réussi à démontrer l’urgence et la nécessité de la réforme parce qu’on n’a pas été suffisamment pédagogues.

Ces dernières semaines, il y a eu des turbulences entre Horizons et Renaissance. Ces relations dans la majorité font-elles partie des choses à améliorer pour sortir de l’ornière ?

Vous n’allez pas trouver un membre de la majorité qui va vous dire qu’il ne faut pas améliorer le fonctionnement de la majorité. On est tous d’accord avec ça.

Y compris chez Renaissance ?

Bien sûr. Pourquoi ? Parce qu’on est une coalition. Une coalition neuve qui agit dans un univers contraint, celui d’une majorité relative avec des oppositions particulièrement fortes, bruyantes, incisives. Nous devons mieux travailler ensemble sur nos textes en amont, mieux préparer nos niches parlementaires. C’est vrai que celle de mon groupe n’a pas été très calme… Il y a aussi eu la journée d’initiative parlementaire où Aurore Berger a essuyé un échec sur la loi qu’elle portait. Cela a donné l’imagine d’une majorité qui ne s’entendait pas bien, à juste titre sur le moment. Donc il faut qu’on travaille autrement.

Mais travailler autrement, ça ne veut pas dire « on n’est plus ensemble ». C’est toujours comme ça, une coalition. Et là, vous en avez une composée de trois entités, dans un pays difficile à réformer mais qui en a besoin, avec une société remplie de tensions… Le tout sans majorité absolue. Difficulté supplémentaire : le président de la République, la clé de voûte des institutions, ne peut pas concourir à un troisième mandat. Il faut apprendre à travailler avec tous ces éléments.

Le président de la République, justement, semble avoir exclu une dissolution, un remaniement et un référendum. Quels outils voyez-vous alors pour reprendre la main ?

D’abord, il faut que le président parle [le chef de l’Etat prendra la parole à la télévision mercredi à 13 heures]. Je le répète, dans notre République, dans notre Constitution, la clé de voûte, c’est le président. Il a été réélu il y a moins d’un an dans un contexte très particulier. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas notre système, qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce président de la République, qu’on le soutienne ou pas, c’est lui qui fixe le cap. Par sa parole, par son expression, il plante le décor.

Dans ce cap que doit fixer le président, doit-il y avoir une inflexion sur le fond ? Parmi des membres de la majorité, on remet parfois en cause le « dogme » du zéro hausse d’impôt…

Je veux qu’on apporte une réponse à nos compatriotes qui veulent une répartition plus équitable – certains diront plus juste – du fruit du travail, de l’effort pour faire fonctionner notre système de solidarité, nos services publics. Pourquoi ? Parce que c’est un sujet qui anime beaucoup les gens dans la rue quand ils manifestent.

Il n’y a pas que la question des retraites, il y a la justice. Mais ça concerne aussi les fractures territoriales. Le fait d’habiter aujourd’hui en zone rurale n’est pas simple. Mais en plus, si demain, vous avez des zones à faibles émissions qui vous empêchent d’aller dans le centre, ou que ça vous coûte encore plus d’accéder aux soins, c’est encore pire. Toutes ces questions suscitent, dans le cœur des Français, un sentiment d’injustice véritable.

C’est donc plus large que l’équité fiscale…

Ça la dépasse. Je sais très bien ce que des millions de Français se disent, mais quand on parle par exemple des bénéfices de grandes entreprises françaises, on oublie souvent que ces bénéfices sont réalisés pour la plupart à l’extérieur du pays. Les gens voient le bénéfice, les salaires, notamment des dirigeants de ces entreprises. Et pendant ce temps-là, le gouvernement, courageusement, dit « il va falloir faire un effort et travailler deux ans supplémentaires ». Pour beaucoup, c’est une injustice. Je crois que pour être équilibré, pour tenir compte des besoins que nous avons, notamment pour faire fonctionner nos services publics, il y a la réforme des retraites d’une part, mais peut-être aussi un peu plus de justice d’autre part.

On a longtemps dit qu’Horizons pouvait être la destination naturelle pour des membres de LR proches de la majorité. Le parti semble aujourd’hui très divisé. Ce ralliement tant attendu pourrait-il arriver maintenant ?

Je ne sais pas. Ce que je sais, en revanche, c’est que nous sommes en train, pour ce qui nous concerne, de continuer notre enracinement. Nous avons notre congrès samedi, nous avons un groupe parlementaire, des élus locaux, un bureau politique qui se réunit à intervalles réguliers, des comités et des délégués départementaux… L’essentiel du pays est pratiquement couvert désormais. Et nous avons vocation à nous élargir, pas à rester un club dans l’entre-soi. S’il y a des gens qui veulent nous rejoindre, à condition qu’ils partagent nos valeurs et qu’ils ont envie de faire un bout chemin avec nous, on les accueillera.

Vous avez des contacts avec des députés LR en particulier ?

Je n’ai pas envie d’en parler.