France

Réforme des retraites : Faut-il que tous les débats politiques soient visibles par le citoyen ?

Mercredi, l’actualité sur la réforme des retraites s’est accélérée. D’un côté, dans la rue, une huitième journée de mobilisation contre le projet de loi, à l’appel de l’intersyndicale. De l’autre, à l’Assemblée nationale, une commission mixte paritaire pour trouver un compromis, en fin d’après-midi.

L’opposition a tenté, en vain, de rendre public des débats politiques prévus à huis clos par le droit parlementaire. Une initiative, certes rejetée, mais qui a eu le mérite de remettre au goût du jour la réflexion sur la transparence des discussions en politique. Le manque de publicité de certains débats affaiblit-il la démocratie ? Toutes les décisions doivent-elles être prises en public ? Éléments de réponse avec Elsa Foucraut, experte en transparence de la vie publique et enseignante à Sciences Po.

Le PS a demandé la retransmission des débats de la CMP. Ce type de demande est-il inédit ?

A ma connaissance c’est une première, car de manière générale les commissions mixtes paritaires sont des instances méconnues du grand public. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces commissions sont normalement des lieux de compromis, où les parlementaires vont discuter sans le gouvernement. Or là, la séquence politique actuelle déroge totalement au fonctionnement normal des institutions. La CMP d’aujourd’hui n’est pas qu’un espace de compromis mais aussi de débat initial, car l’Assemblée nationale n’a pas pu débattre de ce texte jusqu’au bout, dans un contexte où le mouvement social est d’une ampleur inédite depuis plusieurs décennies.

Cette demande peut donc se justifier par le fait que le débat parlemntaire a été en partie escamoté ?

A mon sens, si la demande de médiatisation est hors norme, c’est d’abord parce que le contexte institutionnel est hors norme lui aussi. Si les parlementaires font cela, c’est parce qu’il y a un écho dans la société, et il y a toujours matière à se réjouir quand les citoyens s’intéressent à la procédure parlementaire. C’est le signe que la vie politique n’est pas déconnectée de la vie sociale.

On peut observer ces dernières décennies plusieurs mouvements profonds de la société. Ils sont contradictoires et cohabitent entre eux : une demande de davantage de délibération et de consultation, un désinvestissement politique de certains citoyens, et, aussi, une ambiguïté très forte des pouvoirs publics sur les questions de transparence. Depuis quelques années, on assiste clairement à un recul sur les questions de transparence de la prise de décision publique, avec une tendance au contournement du Parlement.

D’où vient la médiatisation des débats au sein de la vie politique dans la 5e République ? A-t-elle été progressive ?

Ça remonte bien avant l’instauration de la 5e République. Dès la Révolution française, quand les révolutionnaires instituent une Assemblée nationale, les débats sont ouverts au public et c’est un marqueur politique fondamental. La médiatisation et la publicité des débats parlementaires font partie des principes démocratiques.

Ne faut-il pas conserver des lieux de prise de décision à huis clos ?

Il est illusoire de penser qu’absolument tout pourrait être public, et personne ne le demande. Mais on est loin de cette situation. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale et le Sénat sont les institutions les plus transparentes, mais ce qui se passe en amont et en aval est relativement peu transparent.

On est très loin d’une situation où quiconque pourrait suivre facilement toutes les phases d’une décision publique, de l’élaboration à la publication des décrets d’application, et savoir qui l’a influencée… Beaucoup de discussions politiques restent à huis clos, et la période Covid a été emblématique de cela : on est passés par des décisions en conseil de défense, donc sans délibération publique.

Contrairement au Parlement, les travaux préparatoires de l’exécutif en amont d’un projet de loi sont couverts par le secret des délibérations du gouvernement, protégé pendant 25 ans. A notre époque, une protection aussi longue paraît exorbitante et un peu archaïque.

L’enjeu n’est pas de chercher la transparence absolue, mais de donner les outils aux citoyens pour comprendre comment les décisions sont prises, d’assurer une équité d’accès des citoyens aux décideurs publics, et de faire en sorte que les responsables politiques puissent à la fois agir efficacement, tout en rendant des comptes.

La pratique politique peut-elle permettre d’amener plus de transparence sur les débats, ou faudra-t-il passer nécessairement par la loi ou le règlement ?

On voit que de nouvelles pratiques politiques émergent. Il y a souvent des consultations sur des projets de loi, il y a aussi des élus qui décident d’être plus transparents en partageant leur agenda pour améliorer la transparence du lobbying. Quand des élus adoptent une pratique, cela influence parfois leurs collègues. Mais c’est aussi la pratique politique qui nous amène à la situation actuelle : rien dans la loi n’obligeait le gouvernement à passer par les procédures inhabituelles qu’il a choisi. Mais il y a aussi des choses à faire évoluer par la loi, par exemple abaisser la durée de secret des délibérations du gouvernement.