France

Réforme des retraites : « En vieillissant, tout devient plus difficile »… La fin de carrière ardue des commerçants

Ils sont peu nombreux à tirer le rideau de leur boutique pour se joindre aux manifestations contre la réforme des retraites. Mais beaucoup de commerçants n’en pensent pas moins.  « Leur ADN n’est pas de descendre dans la rue, mais ils ne sont pas contre les syndicats car ils ont eux-mêmes des doléances sur les retraites », explique Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF) à l’AFP.

La réforme voulue par le gouvernement prévoit un recul progressif de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans en 2030. Elle augmente également la durée de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein : de quarante-deux ans aujourd’hui à quarante-trois ans en 2027. Une perspective qui semble difficile à beaucoup de commerçants. Même avant la réforme, ils étaient déjà nombreux à douter de pouvoir aller au bout de leur vie professionnelle, comme le prouve une étude de la Dares publiée début mars. Selon celle-ci, en 2019, 66 % des caissiers et employés de libre-service, et 45 % des managers de magasins, déclaraient ne pas se sentir capables de faire le même travail jusqu’à la retraite.

« J’éprouve des douleurs dans les doigts, j’ai mal au dos, je suis stressée »

Ce sentiment d’insoutenabilité du travail à l’âge mûr est dû à leur environnement de travail (le bruit, la poussière…) et à leurs conditions d’exercice (rester debout de longues heures, porter des charges lourdes…). Ce dont témoignent plusieurs de nos lecteurs en fin de carrière, à l’instar de Muriel, 57 ans, qui exerce depuis quarante ans : « J’éprouve des douleurs dans les doigts, j’ai mal au dos, je suis stressée par des clients. Et pour certaines jeunes, se faire coiffer par une mamie, ce n’est pas tentant ! N’étant pas de la génération ayant grandi avec Internet, je subis aussi une pression supplémentaire car tout est informatisé. En vieillissant, tout devient de plus en plus en plus difficile physiquement et mentalement », estime-t-elle.

Brigitte, 51 ans, dont trente-cinq passés dans le commerce, a vu elle aussi sa santé s’altérer au fil du temps : « A toujours courir, j’ai un genou dont le cartilage a été entièrement cassé par un accident du travail, je souffre d’une discopathie, due au port de charges lourdes et j’ai une tendinite récidivante », explique celle qui a été reconnue travailleuse handicapée mais passe encore souvent 10 heures debout. Les horaires à rallonges, Florent, 59 ans et commerçant-artisan dans le domaine des portails et portes de garage, connaît aussi. « Etre commerçant-artisan ne vous donne droit à aucune reconnaissance de pénibilité, vous oblige à travailler 70 heures par semaine, perturbe votre sommeil, engendre du stress pour assurer la pérennité de l’activité… », énumère-t-il.

« Je ne pense pas pouvoir atteindre mon total de trimestres »

De son côté, Philippe, 64 ans, primeur à Versailles, se dit toujours passionné mais confie accuser le coup plus qu’avant : « Si je vais à Rungis, je me lève à 2h30, tout comme le samedi, qui est une grosse journée. Le reste de la semaine, je suis debout à 4 heures. Je ressens plus la fatigue qu’il y a quelques années et la récupération est plus difficile. D’où mon besoin de sieste quotidien », raconte-t-il. Il a aussi l’impression de payer le tribut de ses premières années de boulot : « il m’arrivait de porter des sacs de patates de 50 kg. D’ailleurs, je ne connais aucun primeur sans problème de dos. Le corps humain, à la longue, ça s’use », constate-t-il. Alors depuis quatre ans, il s’accorde deux semaines de vacances en plus, soit 6 semaines dans l’année.

Certains commerçants savent déjà qu’ils n’iront pas jusqu’au bout de leur carrière. Comme Brigitte : « Je ne pense pas pouvoir atteindre mon total de trimestres et pouvoir profiter ensuite de ma retraite », déclare-t-elle désabusée. Florent, lui, fulmine. « Je vais devoir travailler 3 ans et demi de plus. Je ne sais pas comment je vais trouver le courage. Je suis amer ; j’ai soutenu Emmanuel Macron en 2017 car je pensais qu’il comprenait la difficulté d’être indépendant. Mais les hommes politiques ne connaissent pas la réalité de notre boulot. » Il espère que la vente de son affaire lui permettra de vivre décemment ensuite. Comme lui, les commerçants propriétaires de leur fonds de commerce le cèdent en fin de carrière pour gonfler leurs faibles pensions. Mais alors qu’ils se vendaient pour « 35 à 40 % du chiffre d’affaires à une époque, leur prix est désormais tombé à 15-20 % », indique Francis Palombi.

« Plus on avance en âge, plus on nous en demande »

Muriel, elle, n’arrive pas à se résoudre à travailler plus longtemps : « Partir à la retraite à moitié cassée après toutes ces années cotisées, non merci. Plus on avance en âge, plus on nous en demande, alors que ça devrait être l’inverse », fulmine-t-elle.

Philippe, qui va bientôt partir en retraite, s’inquiète plus pour ses confrères que pour lui : « Pousser certains à bosser jusqu’à 64 ans alors qu’ils ont exercé un métier physique, c’est vraiment les forcer à puiser dans leurs réserves. »