France

Réforme des retraites : Dans les manifestations, le port de la cagoule par les CRS est-il autorisé ?

« Je croyais que le port de la cagoule était prohibé pour les CRS ? », twitte@odilev_rv. « Ils ont de plus en plus cette tendance à ne pas vouloir être identifiable et à se cacher une partie du visage. Ou alors la simple écharpe ne fait pas partir de la tenue réglementaire ? », interroge@akril. Depuis la multiplication des manifestations sauvages qui ont suivi le recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites, la question est devenue récurrente sur les réseaux sociaux : les membres des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et des Compagnies d’Intervention (CI) ont-ils le droit de porter une cagoule lorsqu’ils interviennent dans des manifestations ?

L’équipement de ces compagnies est rigoureusement encadré et pensé pour faire face aux éventuels débordements. Casque avec visière, gilet pare-balles, protection pour bras, épaules et jambes… Et la cagoule en fait partie. Mais pas n’importe laquelle. « On oublie très souvent qu’elles sont, avant tout, ignifugées », explique Linda Kebbab, policière et déléguée nationale du syndicat Unité SGP Police-FO. Ces protections faciales ont été introduites après les agressions de quatre policiers en 2016 à Viry-Châtillon et après les brûlures graves d’un CRS, visé par un cocktail Molotov en 2017 à Paris.

Des CRS engloutis par les flammes après le jet d'un coktail Molotov lors de la marche du 1er mai à Paris, le 1er mai 2017.
Des CRS engloutis par les flammes après le jet d’un coktail Molotov lors de la marche du 1er mai à Paris, le 1er mai 2017. – Zakaria ABDELKAFI / AFP

Un usage au cas par cas

« La cagoule est utilisée dès lors qu’il y a des risques pour les agents, explique la syndicaliste. Quand les renseignements prévoient la venue de 1.500  »black blocs », il faut se protéger. Ce n’est pas un luxe face aux tirs de mortiers et aux cocktails Molotov ». En février, trois policiers ont ainsi été blessés à Rennes, dont un gravement, après avoir été visés par des jets de bombes artisanales incendiaires. Et ce vendredi matin, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, faisait état de 441 policiers et gendarmes blessés lors de la seule journée de jeudi. A Paris, « 903 feux de mobiliers urbains ou de poubelles » ont été recensés, a indiqué le ministre.

Pourquoi alors, le recours à la cagoule dans les manifestations fait-il débat ? Outre le fait qu’elle est interdite pour les manifestants, certains voient dans cet usage un moyen utilisé de manière abusive par certains agents pour s’anonymiser. « Dans cet objectif, le port de la cagoule n’est pas autorisé, explique Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS et auteur de De la police en démocratie. Ainsi, selon le schéma national du maintien de l’ordre, « le port de la cagoule pour les personnels de ces unités intervenant en maintien de l’ordre est proscrit, sauf lors d’une menace particulière », souligne-t-il.

Aujourd’hui, seules quelques brigades sont autorisées à porter en permanence une protection faciale pour préserver leur anonymat : les agents des différents services de renseignement, ceux de l’antiterrorisme ou des équipes d’intervention à l’instar du Raid ou du GIGN. Pour les autres, il s’agit donc d’un usage au cas par cas.

Plus de tensions, plus de cagoules, et inversement

Linda Kebbab l’assure, lors des premières journées de mobilisation, relativement calmes, les agents n’ont pas utilisé leurs cagoules. « J’ai couvert toutes les manifestations à Paris », insiste la policière. Selon elle, ce n’est que plus récemment que les forces de l’ordre ont enfilé leurs casques à visière et, pour certains, leurs cagoules. « J’étais dans les rues de Paris jeudi. C’était le chaos. C’était très difficile à gérer. Ce n’est plus de maintien de l’ordre qu’il faut faire, mais du rétablissement de l’ordre », glisse la policière.

Reste que depuis la multiplication des manifestations sauvages, de nombreuses vidéos montrent de très violentes charges de la part des policiers. Onze enquêtes ont été ouvertes en une semaine pour des violences policières et confiées à l’IGPN. L’une d’elle, par exemple, est consécutive à la plainte d’une femme qui a reçu un coup de matraque lors d’un rassemblement lundi dans le centre de Paris. Sur la vidéo réalisée par un reporter indépendant, la plaignante semblait immobile. Une autre enquête vise un coup de poing qu’a asséné un policier au visage d’un manifestant lundi soir à Paris, largement relayée sur internet. Par ailleurs, les témoignages de gardes à vue arbitraires se multiplient.

Aux yeux du sociologue Sebastian Roché, les cagoules sont un marqueur du manque de dialogue entre les manifestants, les forces de l’ordre et l’Etat. « Cette cagoule dépersonnalise les forces de l’ordre. Nous avons moins l’impression d’être en face d’un être humain. On ne distingue ni ses traits de visage, ni ses expressions faciales, ni ses intentions. Les CRS deviennent alors une sorte de symbole de l’Etat, une chose abstraite. Et ce n’est pas de nature à faciliter les échanges, ni à apaiser les tensions », mais plutôt même, parfois, à les exacerber.