France

Réforme de la PJ : « On considère qu’ils ne nous défendent pas »… Les agents déçus par le manque de soutien syndical

La police judiciaire enchaîne les succès. Mais dans ses rangs, le cœur n’est plus à la fête. Mardi et mercredi, les enquêteurs de l’Oclco, l’Office central de lutte contre la criminalité organisée, ont interpellé plusieurs membres d’une équipe qu’ils soupçonnent d’être derrière le braquage d’un fourgon blindé en Allemagne en janvier dernier. « C’est une très belle affaire, ils ont remarquablement bien bossé », salue une source proche du dossier. Malgré ce nouveau succès, les agents sont plus que jamais préoccupés : le ministre de l’Intérieur a confirmé il y a une dizaine de jours l’entrée en vigueur, fin 2023, de sa réforme controversée de la police nationale, laquelle les impacte particulièrement. « Tout le monde a les boules », résume un haut gradé. Avec l’impression que les flics de la PJ n’ont pas été soutenus par les syndicats de police dans leur combat. « On considère qu’ils ne nous défendent pas, ça c’est clair. »

Dans ce même courrier adressé aux 150.000 policiers français, Gérald Darmanin n’a pas simplement rejeté la proposition du Sénat de repousser la mise en place de cette réforme après les Jeux olympiques de 2024. Il a également confirmé l’instauration d’un directeur départemental de la police nationale, dépendant du préfet, qui aura autorité sur tous les services de police d’un département. Face aux critiques sur cet échelon jugé inadapté aussi bien par les enquêteurs que par les magistrats et les parlementaires, il a annoncé la création de directeurs interdépartementaux de la police nationale (DIPN). Une annonce qui n’a guère suscité l’enthousiasme des agents. « C’est incompréhensible. Les DIPN, personne ne sait ce que ça veut dire, on est dans le brouillard », confie un commissaire de la PJ.

« Les agents de la PJ sont ultra-minoritaires »

Dans un communiqué, l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), qui regroupe environ 2.500 membres (sur environ 5.000 personnels), dénonce le « passage en force » de cette réforme « bancale et contestée », mais que « cautionnent » les principaux syndicats de police. « Le courrier du ministre répond aux doléances qu’on avait présentées et à nos interrogations », nous explique en effet David-Olivier Reverdy, secrétaire national province et référent investigation du syndicat Alliance. « Le ministre a fixé un cadre et donné des orientations, comme on le lui demandait, ajoute-t-il. L’interdépartementalité est consacrée par le biais des DIPN, les budgets et les missions de la PAF et de la PJ sont conservés. Enfin, les magistrats pourront toujours choisir le service qu’ils veulent saisir. Il y aura prochainement des réunions de travail pour affiner et préciser les contours de ces décisions. Elles permettront d’y voir plus clair. »

Une position que Franck Nicol, secrétaire général adjoint de l’ANPJ, « a du mal à comprendre ». « On s’en est ému auprès des syndicats », explique-t-il. Depuis que ce projet de réforme a été annoncé, les « pijistes » se sont mobilisés à de nombreuses reprises pour exprimer leurs inquiétudes, sans pour autant recevoir un soutien appuyé des puissantes organisations syndicales de la police. « Les agents de la PJ sont ultra-minoritaires » parmi leurs adhérents, observe Franck Nicol, qui ne perd pas espoir de « leur faire comprendre que l’intérêt supérieur est d’amender cette réforme ». « La PJ aujourd’hui marche parce qu’il y a ce maillage territorial » que le texte va détricoter.

« On a joué notre rôle de représentant du personnel »

Comment expliquer que les syndicats ne soient pas davantage montés au créneau contre cette réforme qui semble faire l’unanimité contre elle ? Gérald Darmanin aurait probablement été plus prudent que ses prédécesseurs. Personne place Beauvau n’a oublié qu’en 2020, ils avaient mobilisé leurs troupes et eu la peau de Christophe Castaner. Le ministre de l’Intérieur de l’époque avait heurté les policiers en annonçant l’abandon de la clé d’étranglement lors des interpellations et demandé « qu’une suspension soit systématiquement envisagée pour chaque soupçon avéré d’acte ou de propos raciste ».

« La sécurité publique est très largement majoritaire dans la police, et donc dans les syndicats. Or cette réforme ne change pas fondamentalement grand-chose pour elle, et affecte surtout la PJ. Ils préfèrent agir sur des choses qui affectent le gros des troupes », analyse Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), spécialiste des questions de police et de sécurité. Il note également que les « principaux leaders syndicaux » sont issus de la sécurité publique ou des CRS, et semblent peu enclins à se mobiliser contre une réforme « assez technique, organisationnelle », alors même que l’opinion publique a du mal à en saisir les enjeux.

David-Olivier Reverdy dit comprendre l’inquiétude persistante de ses collègues de la PJ due, selon lui, à un « manque d’informations concernant l’articluation des différentes strats, DIPN, DDPN, DZPN (direction zonale de la police judiciaire) ». « Ils attendent de savoir comment tout ça va être organisé, mais aujourd’hui on n’a pas de mode d’emploi, c’est encore en construction. » Il estime que le syndicat Alliance – majoritaire depuis son association avec l’Unsa police – a été « hyperactif » et « a fait évoluer le projet présenté par la direction générale ». « J’ai fait un tour de France des polices judiciaires, on a proposé un projet de réforme, formulé des propositions qui pouvaient permettre une sortie de crise. On a joué notre rôle de représentant du personnel et de force de propositions », assure-t-il.

Nouvelle mobilisation

Loin d’avoir été rassurés, les fonctionnaires de la police judiciaire sont décidés à poursuivre leur mobilisation contre cette réforme qu’ils jugent dangereuse. L’ANPJ a indiqué dans un communiqué avoir sollicité « une audience auprès du président de la République, qui semble aujourd’hui le seul interlocuteur possible pour arbitrer une crise qui engage la sécurité des citoyens et la responsabilité de l’État ».

L’association appelle également les agents à se rassembler, jeudi prochain, devant les tribunaux à l’heure du déjeuner, afin de protester aux côtés de magistrats et des avocats.