Qui sont les cueilleurs professionnels (et où sont leurs bons coins) ?
«Je vous rappelle demain, là il fait froid, il pleut, et je ne vais pas être concentré sinon. » Dans un coin de nature du Puy-de-Dôme, Alexandre Dufour cherche du regard un arbuste aux petites boules noires au parfum épicé. En cette mi-novembre, ce cueilleur professionnel collecte des baies genévriers. « C’est pour le gin. Une commande d’une microdistillerie qui veut faire un produit origine France », explique-t-il le lendemain, toujours les mains dans les arbustes aux courtes feuilles épineuses, mais sous un ciel plus clément. A 44 ans, voilà plus de vingt ans qu’Alexandre vit de cueillette sauvage. Il serait une petite centaine en France à vivre pleinement de cette activité, selon l’Association française des cueilleurs professionnels.
Et si l’on imagine que le gros de leur activité est de ramasser des champignons, on se trompe lourdement. « En France, il y a entre 600 et 700 espèces de plantes sauvages qui se ramassent », poursuit notre cueilleur. De l’arnica pour la pharmacopée, des fleurs d’églantiers pour les cosmétiques, du génépi pour les distilleries, de l’ail des ours pour l’agroalimentaire, les possibilités sont nombreuses. La plupart du temps, Alexandre répond à des commandes enregistrées par la coopérative Sicarappam, crée il y a quarante ans dans le Puy-de-Dôme et qui réunit une cinquantaine de personnes, aux deux tiers des cueilleurs et des cultivateurs pour le reste, même s’ils sont nombreux à allier les deux activités.
Gemmothérapie, plantes médicinales et cosmétiques
Michaël Arnou est de ceux-là, même s’il ne travaille pas avec cette coopérative. Installé dans l’Aveyron, il alterne entre cueillette de thé de l’Aubrac, thym, ail des ours et culture. Il compose ses mélanges de tisane qu’il distribue en Biocoop et vente directe. Il développe aussi actuellement une activité de collecte de bourgeons, « à la mode pour la gemmothérapie », indique le trentenaire qui fournit quelques petits laboratoires.
Pour autant, on ne s’improvise pas cueilleur, même s’il s’agit rarement d’une vocation d’enfance. Michaël est tombé dedans après avoir grandi à Saint-Etienne et fait des études de biologie ainsi qu’une formation agricole à Lyon. Il s’imaginait alors mal travailler « enfermé en bureau d’études » et s’est lancé dans la culture de plantes médicinales avant d’ajouter la cueillette de plantes sauvages à sa palette. « Cela fait quelques années que j’arrive vraiment à en vivre. Le plus difficile est de trouver sa filière, mais il y a des débouchés », assure-t-il.
La saison de la cueillette s’étale de février à début décembre. Une saison intense, où il faut « cueillir souvent cinquante heures par semaine », calcule Alexandre Dufour qui parvient à se dégager « un revenu de 1.800 à 2.000 euros par mois lissés sur l’année ». Et pour répondre à la demande, il n’hésite pas à se déplacer partout en France, logeant en camion ou en tente, souvent accompagné, sur des périodes de trois ou quatre jours. Beaucoup de temps est aussi consacré à la prospection.
« Il est aussi satisfaisant de trouver une plante rare comme la spiranthe d’automne, très demandée en homéopathie, qu’un beau parterre d’orties, facilement ramassables, où l’on va pouvoir faire 200 kg dans la journée », estime Alexandre, arrivé dans le métier après un BTS d’écologie forestière et une année sabbatique où il commence la cueillette « pour faire trois sous, sans jamais finalement arrêter ».
Le monde très secret des champignons
Dans le petit monde des cueilleurs professionnels, celui des ramasseurs de champignons semble être quelque peu à part. « La plupart des ramasseurs sont des locaux, des personnes avec de petites retraites qui collectent dans un rayon de 5 à 10 km de chez eux pour arrondir leur fin de mois », indique William Trapon, quatrième génération à tenir Trapon Champignons, un distributeur de champignons sauvages. Lui travaille avec une quarantaine de collecteurs qui eux-mêmes ont leurs réseaux de ramasseurs. Il ne donnera pas plus d’information sur ces derniers. « On n’aime pas trop s’étaler sur notre métier », commente celui qui dirige une structure qui brasse de 200 à 800 tonnes de champignons chaque année, selon qu’elle soit bonne ou non.
A 62 ans, Yannick fait ça à son compte depuis qu’il a quitté la Gironde pour la Creuse, il y a six ans. « J’ai eu des problèmes de santé et il fallait que je marche beaucoup pour ma rééducation, c’est un peu comme ça que je m’y suis mis », explique celui qui a travaillé toute sa vie dans l’hôtellerie et la viticulture. Ses champignons, girolles, cèpes, chanterelles et autres trompettes-de-la-mort, il les vend sur les marchés et les salons en frais pendant la saison et en fait sécher pour le reste de l’année. « Mais pas les pieds de mouton, ceux-là sont si bon que je les garde pour moi », s’amuse-t-il. Pour développer une activité de qualité il ramasse uniquement sur des parcelles labélisées Ecocert.
Razzia et équipées sauvages
« Ce n’est pas parce que ça pousse dans la nature que c’est bio, précise-t-il. Les champignons captent les métaux lourds et les polluants, c’est pour ça que je fais géolocaliser et contrôler les parcelles sur lesquelles je ramasse. » Car si toute cette activité se fait dans la nature, tous ces produits ne sont pas en « libre-service ». Il faut l’accord des propriétaires, qu’ils soient des particuliers, des collectivités ou même l’ONF pour les forêts domaniales.
Un accord dont ne s’embarrassent pas certaines équipes, souvent venues de l’étranger, et qui font de véritables razzias dans les bois. « Les champignons, personne ne maîtrise, et c’est ce qui fait la beauté du produit, mais aussi ce qui cause des problèmes parfois. Donc il y a des gens qui peuvent se déplacer s’il y a des champignons en France et pas ailleurs en Europe », constate William Trapon qui ne veut toutefois stigmatiser personne. « Mais ce n’est pas du travail, c’est de l’exploitation. Ils peuvent parfois passer quinze jours à vivre dans les bois, avant de tout expédier en Italie ou en Espagne. » Ponctuellement, la gendarmerie intercepte quelques-unes de ces équipes. Comme dans le Jura en octobre dernier, où les gendarmes ont saisi 53 cagettes de lactaires délicieux, également appelés sanguins, qui alimentaient un trafic international, rapportait France 3.