France

Quels crimes de guerre a commis la France lors de la conquête de l’Algérie ?

«Chaque année en France, on commémore le massacre d’Oradour-sur-Glane, mais on en a fait des centaines en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? » Interrogé au micro de RTL sur l’attitude à adopter face au régime algérien, Jean-Michel Aphatie a évoqué les crimes commis par la France lors de la conquête de l’Algérie. Une période méconnue car peu enseignée en comparaison avec la période menant à l’indépendance, mais dont les atrocités ont façonné nos rapports actuels avec l’Algérie.

La stratégie des « colonnes infernales »

En arrivant en Algérie, et une fois la ville côtière d’Alger sous son contrôle en 1830, l’armée française met en place ce que l’historien Benjamin Stora, auteur de L’Algérie en guerre. Un historien face au torrent des images appelle les « colonnes infernales ».

Pour comprendre plus précisément ce que cela implique, le plus simple est de lire les courriers du général Bugeaud, l’un des protagonistes de cette colonisation :

« Détruire les villages, couper les arbres fruitiers, brûler ou arracher les récoltes, vider les silos, fouiller les ravins, les rochers et les grottes, pour y saisir les femmes, les enfants, les vieillards, les troupeaux et le mobilier ; ce n’est qu’ainsi qu’on peut faire capituler ces fiers montagnards. »

Tout détruire pour éviter une potentielle reconstruction, et pour expulser de plus en plus loin les populations indigènes, afin de les remplacer par les colons, arrivés de France, mais aussi d’Espagne et d’ailleurs en Europe. Un effacement, c’est ainsi que l’historien Michel Pierre décrit la campagne de destruction du peuple algérien : « On détruisait la maison, les racines, le passé. »

La résistance qui va s’organiser, menée par l’émir Abdelkader, va être aussi fortement réprimée. Un combat déséquilibré entre les 160.000 hommes français et les combattants algériens, que l’historien décrit comme « armés de brins de muguet ».

Les enfumages, summum de la sauvagerie

L’un des exemples les plus abjects de cette campagne militaire, sous-entendu par Jean-Michel Aphatie dans son intervention de ce mardi, reste les enfumages, une technique qui, déjà à l’époque, choque la société française.

Pourchassés par l’armée française, les Algériens ont tenté à plusieurs reprises de se réfugier dans les grottes de zones montagneuses, accompagnés de leurs familles et troupeaux.

Plutôt que de rentrer dans ces grottes et de mettre en danger la vie des soldats, l’armée française préfère allumer des feux à l’entrée de ces grottes, pour que la fumée asphyxie les Algériens cachés.

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A l’intérieur, le spectacle « dantesque » que décrit Michel Pierre est significatif de la sauvagerie de l’armée française : Des centaines de corps, des troupeaux qui sous la panique avaient piétiné tout ce qui se trouvait sur leur passage, et quelques survivants, respirant à travers les craquelures de la roche.

Une pratique qui choque partout en Europe, qui pousse même la presse britannique à traiter l’armée française de barbares. Pour l’historien Alain Ruscio, auteur de La première guerre d’Algérie : Une histoire de conquête et de résistance, c’est un passage qui va aussi choquer la société française :

« Il y a en France une acceptation globale de la colonisation, mais par contre il y a une protestation contre les méthodes, que l’on trouvait ici barbares. La presse s’en émeut mais elle est à l’époque lue par très peu de Français. »

Expliquant l’utilité de cette technique, le général Canrobert évoque à l’époque une « nécessité » permettant de sauver la vie de 300 de ses hommes. Pendant plus de cinq ans, l’armée française a répété cette technique à multiples reprises, avec plusieurs centaines de morts à chaque occasion.

La sauvagerie par ceux qui en parlent le mieux

Si la recherche historique est aussi ample à ce sujet, c’est parce que les généraux de l’époque ne se cachaient pas de leurs agissements. La barbarie est assumée et décrite dans les correspondances des militaires avec la France.

Dans un de ses échanges, le général de Lacretelle décrit ainsi la torture et le meurtre de deux Algériens comme une vulgaire distraction : « Pendant qu’on attendait la soupe, on en avait traîné deux au milieu du camp. » L’un d’entre eux est « délivré immédiatement » de deux balles dans la tête, pendant que l’autre subit la « vengeance d’un artilleur ».

Il raconte avec détail comment le militaire écrase la tête et le corps de l’Algérien avec ses éperons et ses bottes « jusqu’à ce qu’il fût réduit en bouillie ». Une sauvagerie qui, selon l’historien Michel Pierre, amène de nombreuses voix en France à penser que ces militaires ne doivent plus rentrer chez eux, devenus trop violents et insensibles pour exercer sur le sol français.

Pourquoi personne n’est au courant

Cette longue conquête de plus de 50 ans, méconnue du grand public, aura fait environ 500.000 morts algériens, sur une population de 2 ou 3 millions d’habitants. Si beaucoup sont morts des mains des Français, les famines ou les maladies provoquées par l’entreprise de colonisation ont aussi aggravé à ce bilan.

Comment expliquer que la population française ne connaisse que très peu ce passage de notre Histoire ? Pour l’historien Benjamin Stora, tout est une question d’éducation :

Notre dossier sur l’Algérie

« La transmission est très faible. La recherche universitaire n’a jamais cessé mais les manuels scolaires ne la mentionnent pas, nous n’avons pas de musée sur la colonisation… On a progressé sur la guerre d’Algérie, mais pas encore sur la conquête. »