France

Que vont devenir les élèves d’Al-Kindi, dernière école musulmane de France, après la perte de son contrat avec l’État ?

La semaine dernière, la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Buccio, « a décidé de résilier les trois contrats liant l’État à l’école élémentaire, au collège et au lycée Al-Kindi », à Décines-Charpieu, près de Lyon, en raison de plusieurs manquements et « atteintes aux valeurs de la République ». À l’exception d’une classe de seconde à Marseille, il s’agissait du dernier établissement musulman sous contrat dans l’Hexagone depuis la résiliation de l’agrément d’Averroès, à Lille.

« Depuis vendredi, beaucoup d’enfants nous demandent :  »Mais comment on va faire, nous ? », relate Hajer Moume, présidente de l’association des parents d’élèves du groupe scolaire. Ils sont inquiets de savoir s’ils pourront rester dans cet établissement, où ils sont libres d’être qui ils sont, de pratiquer ou non leur religion. On essaie de les rassurer au maximum, de leur dire de rester concentrés sur leurs études. »

Plus de 50 % des élèves d’Al-Kindi sont boursiers

L’avenir des élèves et du personnel d’Al-Kindi n’est pas encore scellé. D’après les dernières communications, la direction a décidé de saisir la justice. En attendant, elle réfléchit à comment maintenir son activité face à l’arrêt des subventions de l’Etat, qui représentent 1,6 million d’euros par an, soit les salaires de ses 36 enseignants. La direction a notamment lancé une cagnotte participative.

« Plus de 50 % des 617 élèves du groupe scolaire sont boursiers, pointe Hajer Moume, dont les quatre enfants sont scolarisés à Al-Kindi. Certaines familles ne pourront peut-être plus se permettre financièrement de laisser leurs enfants en fonction de la nouvelle grille tarifaire. » D’après la présidente des parents d’élèves, une réunion est prévue ce samedi avec la direction pour parler du sujet, classe par classe.

Les 617 élèves d’Al-Kindi ne sont pas tous pratiquants

Mais de son côté, le choix est déjà fait : elle laissera ses quatre enfants à Al-Kindi, « qu’importe le prix ». Quand Hajer Moume a déménagé de Poitiers pour cette école, elle voulait « l’excellence » pour ses enfants. Depuis, son avis n’a pas changé.

« Mes enfants m’ont demandé de rester, développe-t-elle. Je les vois épanouis, ayant tissé des liens avec leurs camarades, leurs enseignants. Je fais le choix de les écouter car je fais confiance à l’établissement. » Elle dénonce d’ailleurs de « fausses accusations » qui circulent au sujet des enseignements délivrés. « Si un jour, j’entendais qu’un enseignant ne respectait pas les valeurs de la République française, j’enlèverais directement mes enfants, assure-t-elle. Ils ont un prof de musique, parlent de sexualité, ne vivent pas dans des bulles. Ce matin, ma fille qui est au collège m’a demandé :  »mais maman, ça veut dire quoi djihadisme ? ». C’est la meilleure preuve, s’il en fallait une, qu’il n’y a pas ce genre d’enseignement à Al-Kindi. Ces accusations sont graves et elles ont des impacts sur nos enfants. »

Hajer Moume précise que sur les 617 élèves, tous ne sont pas pratiquants. « Rien n’est obligatoire, si certains ne veulent pas faire la prière, ils ne la font pas et voilà, pareil pour le port du voile, explique-t-elle. C’est d’ailleurs cette liberté qui fait la richesse de cet endroit. » Elle craint d’ailleurs des « échecs scolaires » pour les enfants contraints de changer d’établissements, ne pouvant pas « rester eux-mêmes » sans être forcément stigmatisés.

Quel avenir pour les profs ?

Rachida Briza, professeure de physique-chimie à Al-Kindi depuis sept ans, s’interroge, elle aussi, sur l’avenir de ses élèves, qu’elle « suit depuis des années ». « On se demande ce qu’il va advenir d’eux, mais aussi de nous. Du jour au lendemain, toutes les personnes affectées par le rectorat ne le seront plus », appuie-t-elle.

« Le fait d’être hors contrat change les modalités d’examen pour les terminales qui passent le baccalauréat », développe la professeure. A partir de la rentrée de septembre 2025, les futurs bacheliers devront passer toutes les épreuves, aucun point de contrôle continu ne pourra être pris en compte. Elle rappelle que le programme suivi est exactement celui de l’Education nationale et que les professeurs titulaires ont obtenu le même diplôme que « n’importe quel autre professeur d’un autre établissement ».

« C’est la décision de l’Etat qui nous sépare de la société »

Rachida Briza estime qu’un autre challenge se dessine pour les professeurs d’Al-Kindi. « On va devoir faire comprendre aux adolescents devant nous que, malgré cette décision de l’Etat, ils méritent autant d’exister qu’ailleurs, de travailler et de réussir », lance-t-elle.

Et de pointer : « Il faut se poser la question : quel est le sort des minorités en France ? La liberté d’instruction semble garantie par l’Etat, hormis pour les personnes de confession musulmane étant donné que, pour la deuxième religion de France, il n’y a plus aucun établissement sous contrat. Pour information, il existe plus de 7.200 établissements catholiques en France encore sous contrat. Je pense que la préfète n’a pas mesuré les conséquences de cette décision vis-à-vis de gamins qui sont en pleine construction dans notre pays. »

Notre dossier sur l’Education nationale

Hajer Moume, la présidente des parents d’élèves, conclut : « On nous parle de séparatisme mais c’est la décision de l’Etat qui nous sépare de la société, rien d’autre. »