France

Pyrénées-Orientales : On vous raconte l’incroyable histoire du Train jaune des Pyrénées

Voilà plus d’un siècle que le Train jaune serpente dans les Pyrénées. Cette ligne, devenue un emblème de la Catalogne française, étonne plus d’un automobiliste, sur les routes des stations de ski, par les chemins qu’elle emprunte. Des ponts vertigineux et des pentes particulièrement abruptes se dressent sur son parcours, entre Villefranche-de-Conflent et Latour-de-Carol, tout près de la frontière espagnole. Ce train, qui subit, depuis quelques semaines, de lourds travaux de rénovation, est également remarquable par son histoire.

Car elle ne fut pas de tout repos. Jean-Louis Blanchon et Pierre Cazenove, deux passionnés de cette ligne, auteurs de livres dans la collection « Les cahiers du Train jaune » (Editions Talaia), racontent à 20 Minutes cette formidable épopée ferroviaire.

« Les enfants d’ici n’avaient jamais vu la mer »

C’est à la fin du XVIIIe siècle que naît l’idée de créer un train, dans les montagnes catalanes. A cette époque, la Cerdagne, cernée par les montagnes, est particulièrement isolée du reste du département. Certes, il y a déjà une route, qui reliait Perpignan à cette région reculée. Mais il faut plus d’un jour aux diligences, pour rejoindre les plaines.

« Les enfants d’ici n’avaient jamais vu la mer, confie l’historien Jean-Louis Blanchon. Cette ligne a rendu Français les habitants de cette région. » Les gens de Cerdagne « étaient tournés vers l’Espagne, confirme son collègue, Pierre Cazenove. C’était, d’une part, culturel. Et, surtout, c’était plus facile pour eux d’aller à Puigcerda que d’aller à Prades ou à Perpignan ! » Jules Lax, le directeur du contrôle des Chemins de fer du Midi, et Emmanuel Brousse, élu des hauts cantons et journaliste à L’Indépendant, portent alors le projet fou de construire une ligne de train, pour désenclaver les montagnes. Ça tombe bien, la France développe à bon train, ces années-là, son réseau ferroviaire.

« La création de la ligne a été particulièrement rapide »

Mais cette ligne-là, parce qu’elle emprunte une région montagneuse, ne sera pas simple à bâtir. Elle a nécessité la construction de… 650 ouvrages d’art, dont 19 tunnels. Et surtout, deux ponts vertigineux : le pont Gisclard, perché à 80 mètres de haut, au-dessus d’un précipice, et le viaduc Séjourné, édifié, lui, à 65 mètres du sol. Ces deux constructions sont, encore aujourd’hui, considérées comme de véritables prouesses techniques. « Le viaduc Séjourné est un chef-d’œuvre des ponts ferroviaires, en matière de maçonnerie, explique Jean-Louis Blanchon, historien et passionné par le Train jaune depuis toujours. Quant au pont Gisclard, il est le premier pont métallique ferroviaire. » Autre exploit, la gare de Bolquère-Eyne, est la plus haute de France : elle culmine à 1.592 mètres d’altitude.

Construire des rails, dans une région si escarpée, c’est un tour de force. « Et ce qui est d’autant plus remarquable, c’est que la création de la ligne a été particulièrement rapide, de 1904 à 1910, note Pierre Cazenove. Ce qui a été long, c’est ce qu’il y a eu avant, les décisions politiques, et les études. Mais une fois que le chantier a été lancé, il a fallu six ans pour le train aille à Mont-Louis. Et un an de plus, à Bourg-Madame. »

Un accident mortel lors d’un essai, en 1909

L’Etat ayant fait le choix, alors que c’était encore les débuts de cette motorisation, de construire un train à traction électrique, et non à vapeur, il a fallu, aussi, construire un immense barrage, pour l’alimenter, au lac des Bouillouses. « C’était révolutionnaire ! », reprend Pierre Cazenove. « On aurait pu se contenter de la vapeur. Mais ces lignes-là, elles ont été fermées, après la Seconde Guerre mondiale. Peut-être que si l’Etat n’avait pas fait le choix de l’électricité, la ligne du Train jaune n’existerait plus, aujourd’hui. »

Juste avant qu’elle ne soit mise en service, un spectaculaire accident a frappé la petite ligne, le 31 octobre 1909. Ce jour-là, ingénieurs et agents ferroviaires procèdent à un dernier essai, sur le pont Gisclard, pour vérifier, une fois encore, si tout fonctionne parfaitement. La veille, un premier test avait déjà permis de se rendre compte que tout allait bien, pour le Train jaune. « Mais la loi disait qu’il fallait faire deux essais ! », raconte Jean-Louis Blanchon. Le lendemain, en revanche, l’essai tourne au drame. Contrairement aux « nombreuses bêtises qui ont été dites », confie Pierre Cazenove, ce jour-là, les agents n’étaient pas éméchés en sortant d’un apéritif d’inauguration, et le train n’est pas tombé du pont. C’est une erreur technique qui a conduit à ce drame.

L’inauguration, « ce fut une date extraordinaire »

« Il y a eu un malentendu entre le chef de traction, et le personnel qui était sur la voie », explique ce passionné. A l’époque, le rapport d’accident conclut que le drame est dû « à l’enlèvement prématuré des cales, qui a eu pour conséquence le départ inopiné du train ». Le problème, c’est que le frein à air était vide. Il n’avait pas encore été remis en conformité. Et le frein électrique, « dont le fonctionnement est d’ailleurs capricieux », écrivent les enquêteurs de l’époque, n’a pas fonctionné, lui non plus. « Le train est parti à la dérive, explique Pierre Cazenove. Et il s’est couché, 600 mètres plus bas, sur les montagnes. » Six personnes sont mortes, ce jour-là, dont le concepteur du pont suspendu, le commandant Albert Gisclard, et neuf ont été blessées. « C’est une histoire profondément douloureuse, pour cette ligne », confie Jean-Louis Blanchon.

Une photo de l'accident du Train jaune, en 1909.
Une photo de l’accident du Train jaune, en 1909. – Collection Jean-Daniel KEHR

Après l’accident, qui a fait, à cette époque, la une des journaux, les opposants à la construction d’un Train jaune, et à Emmanuel Brousse, l’élu qui l’avait rêvé, s’en sont donné à cœur joie. « Emmanuel Brousse était un Républicain modéré, il avait contre lui la droite et la gauche, poursuit l’auteur. On entendait « On l’avait bien dit », « On tue un commandant, alors que la guerre menace », « On gaspille l’argent de la République », etc. Mais ces critiques n’ont pas eu de suite. » Et en 1910, la ligne a été inaugurée. « Ce fut une date extraordinaire, poursuit l’historien. Il y avait des drapeaux français partout, le long de la ligne. Les enfants des écoles chantaient La Marseillaise. »

Le Train jaune a, aussi, des wagons sans toits. Sensations garanties !
Le Train jaune a, aussi, des wagons sans toits. Sensations garanties ! – Pierre Cazenove

Aujourd’hui, le Comité d’usagers veille au grain

Aujourd’hui, le Train jaune roule encore. Mais il vieillit. Quelque 9,3 millions ont été débloqués par l’Etat, la région Occitanie et SNCF Réseau pour moderniser la ligne. Le chantier, qui a débuté le 27 février, doit s’achever le 28 avril. Mais les défenseurs de ce TER pas comme les autres veillent au grain. Il y a peu, il était question que la ligne ferme aux usagers du quotidien, et qu’elle devienne une attraction touristique, pour les curieux.

Le Train jaune n’est pas devenu un simple manège, mais il est loin d’être « le train de service public » qu’il a été, regrette Georges Bartoli, le président du Comité d’usagers de la ligne. La SNCF se cantonne à proposer des horaires qui ne conviennent pas aux usagers, les connexions sont trop peu nombreuses, et les tarifs ne sont pas attractifs, déplore-t-il. « Nous, habitants du territoire, on n’y trouve pas notre intérêt », poursuit-il.

Dommage, car « il vaut mieux un train que cinquante voitures ou cinq bus sur les routes. Le Train jaune fonctionne à l’électricité, produite localement… S’il fallait la construire aujourd’hui, cette infrastructure, ce serait pharaonique ! Mais elle existe ! » Alors, utilisons-la à fond, s’exclame Georges Bartoli. « Par ailleurs, son développement permettrait de booster le tourisme », note-t-il. Le Comité des usagers s’apprête à lancer une pétition, pour se faire entendre. Pour que le Train jaune reste, toujours, le train qu’il a té.