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Pull moche et serre-tête renne : s’habiller n’importe comment à Noël ?

Chaque 3e vendredi du mois de décembre, on célèbre « le pull moche ». Selon Dinah Sultan, styliste chez Peclers, l’arrivée d’Asos sur le secteur du prêt-à-porter français a beaucoup contribué à l’essor de cette tradition.


Si vous vous posiez encore la question, le vert ne devrait jamais se marier avec le rouge, même dans l’univers de la mode. De plus, des éléments comme un père Noël, un renne, un bonhomme de neige ou même un Corgi n’ont pas leur place sur un pull, une robe ou des boucles d’oreilles, par respect de soi. Pourtant, la majorité s’en préoccupe peu, surtout durant les fêtes de Noël, où le « moche » s’impose. En effet, chaque troisième vendredi de décembre, c’est « le pull moche » qui est célébré. Que ce soit en famille, entre amis ou collègues, l’objectif est de dénicher le pull le plus kitsch et de le porter avec fierté lors des repas ou pauses café.

Pour ceux qui n’ont pas encore cédé à cette tendance ou qui en sont restés bloqués dans le passé, il s’agit d’une tradition anglo-saxonne, phénomène qui a particulièrement pris de l’ampleur depuis la sortie de *Le journal de Bridget Jones* en 2001, comme le relatait 20 Minutes en 2016. Cette coutume a su séduire la France, connue pour son bon goût. « L’arrivée d’Asos, un distributeur anglais, sur le marché du prêt-à-porter français a beaucoup facilité cela, explique Dinah Sultan, styliste chez Peclers, une agence de conseil en tendances. Ils offrent des collections spéciales Noël, des articles un peu « cosy Santa », comme des pyjamas avec des pères Noël… Dans le mass market, c’est une capsule qui génère également des chiffres importants, il y a un aspect business très fort là-dedans. »

Mais pourquoi un tel engouement ? Pourquoi choisir de s’habiller de manière désinvolte pendant les fêtes ? Et pourquoi Noël est-elle la période idéale pour élever le mauvais goût au rang de tradition ?

### Combattre la morosité

Pour notre lecteur Stanislas, « Noël représente dans l’inconscient collectif l’esprit de la fête et du partage, un moment hors du temps réel : un instant où tout semble possible, notamment pour célébrer l’esprit éminemment festif de Noël. Quel vêtement est donc plus approprié pour cette belle fête que le pull de Noël qui incarne cette période ? » Effectivement, cela reflète le désir de « marquer le coup » et d’indiquer que l’on entre dans une période spéciale. « Cela est lié à un événement précis, le solstice d’hiver. Les jours raccourcissent, le temps est « moche », même si c’est un peu moins vrai aujourd’hui avec le réchauffement climatique. On cherche à compenser l’absence de lumière avec des décorations, des éclairages… On fait la fête pour se consoler face à l’atmosphère souvent déprimante de la météo », analyse Samuel Lepastier, psychiatre et membre de la société psychanalytique de Paris.

En d’autres termes, on compense la morosité ambiante avec des tricots amusants aux couleurs criardes, un besoin d’autant plus fort que le contexte social n’invite pas à la célébration. « C’est agréable parce que cela apporte une touche de gaieté à la saison, estime Dinah Sultan. Dans des périodes difficiles, comme en ce moment avec des grèves, c’est réjouissant d’avoir quelque chose de marrant qui ne soit pas uniquement de bon goût ou de la mode conventionnelle. Cela fait du bien de lâcher prise, surtout avec nos vêtements. »

### Dégoupiller face à la pression sociale

Nous voici au cœur de cette période festive : le ras-le-bol total. Souvenez-vous, il y a presque un an, nous avions tous pris des résolutions comme devenir plus gentils, arrêter de fumer, de boire, éradiquer la graisse autour du ventre, protéger la planète et prôner la paix dans le monde… Des défis souvent trop lourds à porter pour nos épaules fragiles, sans oublier les contraintes quotidiennes liées au « vivre ensemble » et aux conventions sociales.

Ainsi, en décembre, on lâche du lest. « La fête est un moment d’excès où l’on peut se permettre certaines transgressions par rapport à la vie habituelle, et une fête n’a de sens que si elle se démarque de l’ordre quotidien », précise Samuel Lepastier. Certains se régaleront de petits fours et s’abreuveront de champagne, tandis que d’autres défieront les règles de la *fashion police* avec des pulls moches (on peut même combiner les trois).

« En France, on excelle dans l’autodérision. Ce n’est pas tant une affection pour un style particulier, mais plutôt l’idée de ne pas se prendre au sérieux à un moment de l’année où l’on a besoin d’un peu de légèreté », énonce Dinah Sultan. Une légèreté que notre lectrice Julia applique également au travail : « À partir du 1er décembre, je sors tous mes accessoires, pull, bonnets, moufles, bijoux, chaussettes, sans oublier les ongles et les coiffures… et je vais travailler comme ça ! Ça fait sourire les patients et les collègues. »

D’autant que l’espace professionnel est souvent un lieu très contraignant. « La pression sociale est forte toute l’année, donc durant cette période, on s’autorise à profiter de ce relâchement et à exprimer ce qu’on ne peut pas faire quotidiennement, affirme Samuel Lepastier. Cependant, les codes vestimentaires deviennent de moins en moins stricts. On peut porter un pull moche tous les jours ! » Et pourquoi pas ?

### Calmer nos névroses

Si le moche et l’humour aident à traverser l’hiver et à se détendre, ils permettent aussi de faire face à nos vieux démons, qui profitent des fêtes pour se rappeler à notre mémoire. En effet, faites quelques sondages autour de vous : bien que certains se réjouissent de l’arrivée du père Noël, combien craignent les retrouvailles familiales ? « Noël est souvent présenté comme un moment magique, de retrouvailles… Ce qui est vrai pour les enfants, mais beaucoup moins pour les adultes, constate Samuel Lepastier. L’espoir de retrouver sa famille est souvent déçu, et on ne retrouve pas toujours la magie des premières années. Pour ceux ayant des situations familiales atypiques ou tendues, cela rappelle leur solitude, leur unicité et les conflits familiaux… »

Porter un pull de Noël peut alors nous aider à « rejouer à l’enfant » et à rappeler une époque où tout était insouciance.

Eh oui, beaucoup d’entre nous trouvent Noël compliqué. Si acheter un pull moche, jouer sur le mauvais goût et associer des couleurs improbables peuvent rendre cette période plus supportable, c’est toujours mieux que de se noyer dans des pensées négatives. Allez, courage, ce n’est qu’un moment désagréable à affronter.