France

PSG-Lens : Joseph Oughourlian, financier en guerre contre la LFP

Joseph Oughourlian, dirigeant du club de Lens, est devenu la figure de la contestation contre la Ligue de football professionnel et son président Vincent Labrune. Il a démissionné de l’organe dirigeant de la Ligue en septembre 2024, en désaccord avec la gestion du football français par ses collègues.


Joseph Oughourlian se rendra-t-il au Parc des Princes ce dimanche pour assister au match de son équipe de Lens contre le PSG ? Sa présence serait particulièrement intéressante, surtout lors de la rencontre avec Nasser Al-Khelaïfi. Cela fait une semaine que le dirigeant de Lens est devenu le visage de la contestation contre la Ligue de football professionnel (LFP) et son président Vincent Labrune, dont le dirigeant parisien est proche.

Ce conflit est l’un des principaux reproches formulés par l’homme d’affaires français d’origine arménienne et libanaise, âgé de 53 ans, qui est sorti de l’ombre en février dernier lorsque des extraits d’une réunion sur les droits des télévisions ont été révélés. Dans ces extraits, il accuse le Qatari, également patron de beIN Media Group, de « conflit d’intérêts » et de chercher à « intimider tout le monde ». Le grand public a ainsi découvert ce financier avisé, qui, bien que plutôt discret, défend toujours ses opinions.

### « Changer le curé »

Bien que Joseph Oughourlian n’ait pas cherché cette mise en lumière initiale, il a habilement orchestré les événements récents. Il a d’abord lancé une offensive dans *Le Figaro* le 5 septembre, en compagnie de Frank McCourt, propriétaire de l’OM, pour établir les bases de sa contestation (« c’est une honte que nous en soyons arrivés là »). Cette campagne s’est poursuivie avec une interview sur RMC puis un post sur LinkedIn très incisif, à la veille du renouvellement de trois membres au Conseil d’administration de la LFP.

« Remettre l’église au milieu du village… et changer le curé. Je me dois de défendre l’intérêt de mon club mais aussi celui du football français. Et aujourd’hui, cela passe par un changement à la tête de la Ligue », a-t-il déclaré. Il insiste sur le fait que la LFP doit retrouver une dynamique collective axée sur les intérêts de tous les clubs, et pas seulement d’un petit cercle d’influence.

### « Il ne recherche pas le conflit, mais… »

Ses proches ne sont pas surpris par cette offensive. « C’est quelqu’un d’engagement, un vrai professionnel, cohérent et très transparent », décrit Thierry Dujardin, qui était président de la société régionale d’investissement Side Invest lors de l’entrée de celle-ci au capital du RCL en 2023. « Je savais qu’il avait des doutes depuis un certain temps sur les difficultés du foot français. Il ne recherche pas le conflit, mais s’il estime qu’il doit agir pour l’intérêt de tous, il le fera. Il considère que la situation est grave et qu’il est temps d’agir. »

Oughourlian affirme que « beaucoup de présidents de clubs » partagent son avis sans l’exprimer publiquement. Cependant, le leader de la rébellion a perdu une première bataille lors du vote de mercredi. Quatre candidats se disputaient trois postes au CA, et Jean-Michel Roussier, le seul opposant déclaré à la direction actuelle, n’a pas été élu. Ce résultat ne modifie toutefois pas ses intentions.

> « Joseph est quelqu’un qui sait ce qu’il dit. Quand il parle ainsi ces derniers jours, c’est qu’il est conscient des difficultés actuelles et des conséquences des décisions prises, et qu’il souhaite aller jusqu’au bout », soutient l’ancien président lensois Gervais Martel. « Je pense qu’il a raison dans ses critiques à l’égard de la Ligue et Vincent Labrune. »

En réalité, son opposition ne date pas d’hier. Membre de l’organe dirigeant de la Ligue, il a démissionné en septembre 2024, en désaccord profond avec la gestion du football français par ses collègues. Il n’a pas réussi à faire pénétrer ce qu’il considérait comme utile, à savoir son « expérience dans les affaires » et un « regard financier, très business ».

Joseph Oughourlian a acquis une solide réputation dans le monde des affaires. Petit-fils d’un ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban, ayant fui le génocide arménien, et fils d’un neuropsychiatre renommé, il a étudié à Sciences Po Paris entre 1989 et 1992 avant d’intégrer HEC pour approfondir son intérêt pour la finance. Après un passage à New York pour la Société Générale, il a créé un fonds d’investissement en 2005 et a fondé Amber Capital, qu’il dirige toujours avec pour principe l’« activisme ».

Cette stratégie consiste à devenir actionnaire minoritaire d’une société dans l’objectif d’en faire évoluer la stratégie ou la gouvernance. « Il veut changer les choses, laisser les sociétés dans lesquelles il passe en bon état de marche », déclare Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires. Son coup le plus marquant a concerné le groupe Lagardère, où il a réussi à mettre un terme à la mainmise d’Arnaud Lagardère, héritier dont il désapprouvait les méthodes, permettant ainsi à l’entreprise familiale de devenir une société par actions.

### La guerre ouverte, jusqu’où ?

Et le football dans tout ça ? Ce n’est pas vraiment une passion de jeunesse, selon ses anciens camarades, mais plutôt un intérêt croissant depuis son acquisition du Millonarios FC en Colombie en 2015. Il est également devenu actionnaire majoritaire du club italien de Padoue et a investi dans l’aventure lensoise, qui est particulière, car le RCL est le seul club dont il est le président. « C’est un homme qui a appris à aimer son club », assure Gervais Martel, une impression renforcée par le fait qu’Oughourlian joue parfois les patrons incognito dans les tribunes, parmi les supporters.

Ces derniers, bien que reconnaissants d’avoir sauvé le club des mains de Hafiz Mammadov et de l’avoir repositionné sur la carte de la Ligue 1, ont aussi exprimé leur mécontentement, surtout l’année dernière. Les départs successifs de cadres de l’équipe qui avait terminé à la 2e place en 2023 (Fofana, Openda, Danso, Samba, Danso, Frankowski) ainsi que ceux du DG Arnaud Pouille et de l’entraîneur Franck Haise ont suscité des critiques. « Il lui a été reproché de vendre des joueurs, mais c’est justement parce qu’il avait anticipé cette baisse dramatique des revenus », défend son prédécesseur, qui continue de vanter sa gestion.

### « Il regarde les recettes avant les dépenses »

« C’est un vrai patron », souligne Michel Savin, sénateur (LR) de l’Isère, qui s’est impliqué dans la gestion du football français ces dernières années. Il a rencontré Oughourlian à plusieurs reprises et décrit un dirigeant « sérieux », qui « examine d’abord les recettes avant de dépenser », une approche qui semble peu commune. Savin perçoit les déclarations de l’homme d’affaires comme « positives, constructives, pour préparer l’avenir ».

« C’est une manière de dire qu’il faut que nous, présidents de clubs, nous engagions et jouions collectivement face aux deux ou trois personnes qui dirigent la Ligue aujourd’hui », souligne-t-il. Joseph Oughourlian peut-il être celui qui rallie les autres ? « Oui, il l’a prouvé », conclut le sénateur.

L’entourage de Vincent Labrune, quant à lui, ne considère cela que comme une « minorité bruyante s’agitant ». Sans viser explicitement Oughourlian, les proches du président de la LFP affirment que l’élection de mercredi prouve que « les prétendus problèmes de gouvernance dénoncés par certains ne sont qu’une fiction ». « Cette minorité se nourrit du conflit, attise les tensions et cherche à exister par la polémique, souvent avec une bonne dose de mauvaise foi », ajoutent-ils.

### Labrune pas plus inquiet que ça

Jusqu’où ira cette guerre ouverte ? Selon *L’Équipe*, le patron de la Ligue et son directeur général Arnaud Rouger envisagent de quitter leurs postes au moment de l’adoption par l’Assemblée nationale de la grande réforme du football français, qui envisagera plus de pouvoir pour la FFF et des responsabilités accrues pour les clubs, et donc la fin de la LFP. Prévu en novembre, le vote des députés pourrait néanmoins être repoussé en raison de la chute du gouvernement Bayrou.

Joseph Oughourlian et ses partisans attendront-ils cette issue incertaine ? Le président du RC Lens se projette-t-il déjà au-delà, à travers ces déclarations ? « Je le connais assez bien, et je suis convaincu que ce n’est pas par ambition personnelle, mais par conviction personnelle », analyse Thierry Dujardin, en contact régulier avec lui. Ce dernier n’est pas du genre à abandonner tant qu’il n’aura pas obtenu gain de cause.

« En quittant le CA de la Ligue, il voulait retrouver son droit de parole. Donc il parle, il exprime ce qu’il pense et a bien raison de le faire », conclut Gervais Martel. « Quand on est très intelligent, comme lui, on perçoit rapidement les forces et les faiblesses du football. »