PSG – Inter Milan : Héros malgré lui, Daniel Dutuel espère « un déclic pour tout le football français »
On peut avoir 57 ans et toujours rester le dernier buteur d’un club français lors d’une finale de Coupe d’Europe. A la veille du choc de la Ligue des champions entre le Paris Saint-Germain et l’Inter Milan samedi (21 heures), 20 Minutes vous propose une interview de l’ancien milieu de terrain bordelais Daniel Dutuel, qui était parvenu à réduire l’écart lors de la finale retour de la Coupe UEFA (désormais Ligue Europa), le 15 mai 1996 face au Bayern Munich (0-2, 1-3).
Désormais directeur général d’Olympe Conseil, courtier spécialisé dans l’assurance des footballeurs professionnels, celui-ci revient sur son coup franc inscrit à Oliver Kahn et surtout sur les raisons du famélique bilan tricolore lors des finales européennes (2 succès seulement sur 15 rendez-vous au total).
Dans quel état d’esprit étiez-vous avant cette finale en aller-retour contre le grand Bayern ? Y avait-il de mauvais signes dans l’air ?
Il faut savoir que pour le match aller, deux très grands joueurs, Zinédine Zidane et Christophe Dugarry, étaient suspendus. Malgré la défaite 2-0 en Allemagne, on a eu énormément d’occasions pour inscrire un ou deux buts. Mais sur le match retour (1-3), on s’est très vite rendu compte que physiquement et tactiquement, le Bayern nous était supérieur. Et puis Kostadinov a commis un attentat sur Bixente Lizarazu [grosse semelle sur le genou] qui l’a forcé à sortir sur blessure à la demi-heure de jeu. Ils étaient déjà plus forts, et tous ces aléas nous ont pénalisés.
Dans votre approche de cette grande finale, cogitiez-vous sur le manque de réussite du football français dans ces rendez-vous (2/8 alors) ?
Non, on n’avait pas ce poids-là à supporter. Dans l’approche, je pense qu’on n’avait pas été mauvais. On était vraiment prêt pour essayer de créer l’exploit au match retour. On avait prouvé contre l’AC Milan qu’on était capable de remonter un 0-2 (3-0 au retour en quart). Mais là, la marche était quand même importante.

Quel souvenir gardez-vous de votre but au Parc Lescure, sur ce coup franc mal négocié par Oliver Kahn pour réduire l’écart (1-2, 75e) ?
J’étais remplaçant sur ce match retour et en entrant en jeu en seconde période, je voulais me prouver à moi-même que j’avais les qualités pour jouer un tel match. Lorsqu’on obtient ce coup franc, je vais voir « Zizou » et je lui demande de me laisser le tirer car je le sentais bien. C’est pour ça que j’ai énormément de respect pour lui : il a toujours été très humble et il l’a montré sur cette action en me laissant tenter ma chance. Ce but a été important pour moi, et jusqu’au bout, on a fait le maximum pour tenter de revenir.
Ça vous inspire quoi de rester depuis près de trente ans, dans les livres d’histoire, comme le dernier buteur d’un club français dans une finale européenne, malgré six autres tentatives depuis ?
J’ai surtout eu la chance de vivre des moments extraordinaires grâce à cette épopée. On jouait au football pour connaître ces émotions-là, c’était notre passion et on ne calculait pas tout ça alors. Mais c’est vrai que ça fait long… A chaque fois qu’on me remémore cette mauvaise série pour le football français, je trouve ça incroyable, et je n’y aurais jamais songé à l’époque.
Entre les suspendus importants, les joueurs clés diminués ou forcés de sortir très tôt lors de ces finales, plus les grosses occases manquées d’emblée, on a l’impression d’être dans un remake du « Jour sans fin » avec le football français sur ces échéances, non ?
Ce sont des moments d’histoire différents. Il y a un élément commun important, hors PSG : dès qu’il manque des forces vives dans les grands moments d’une Coupe d’Europe, les moyens financiers des clubs français font qu’il n’y a pas 20 joueurs de la même qualité. Nos clubs sont dépendants de certaines individualités, et on a souvent senti que leur absence pouvait déséquilibrer l’équipe. Mais ça sera différent samedi, quand on voit la force collective qui se dégage de ce PSG.
Quelle est selon vous l’explication majeure aux non-matchs des clubs français dans plusieurs finales qui ont suivi la vôtre (0-3 pour l’OM contre Parme et l’Atlético de Madrid, en 1999 et en 2018, 0-3 aussi pour Monaco lors de la C1 en 2004 face à Porto) ?
A un moment, pour gagner des finales, il faut avoir vécu le dernier carré plusieurs fois. On l’a vu avec Manchester City : le seul élément qui peut faire basculer les choses, c’est de revenir régulièrement dans ces grands moments pour les appréhender du mieux possible et gagner. Après leur défaite contre l’Atlético en 2018, il aurait par exemple fallu que les Marseillais revivent une finale dans les 2-3 ans pour que cette expérience leur serve. Si tu reviens tous les dix ans, tu reprends tout depuis le début…
Ce 2/15 risque-t-il de perturber l’approche du match du PSG contre l’Inter ?
Peut-être qu’à une époque, ces échecs du foot français dans son ensemble en finale pouvaient rentrer dans les têtes, mais plus maintenant. Pensez-vous sincèrement qu’en 2020 par exemple, les Parisiens tiraient des conclusions des finales européennes perdues par l’OM ? Quand tu vas en finale, que tu la perds puis que tu en rejoues une autre quelques années après, là oui, tu vas en tirer des conclusions. Mais les joueurs actuels du PSG se fichent bien du fait que le foot français soit à 2/15 en finale avant leur match.
Est-il essentiel d’avoir dans son effectif le maximum de joueurs ayant déjà disputé une finale de Coupe d’Europe ?
C’est une bonne question, mais on pourra surtout faire le point là-dessus après cette finale. Côté Inter, il y aura sur le terrain samedi énormément de joueurs de la finale 2023 (défaite 0-1 face à Manchester City). Ils vont savoir encore mieux que les Parisiens comment gérer ces moments-là, comment capitaliser sur les erreurs qu’ils ont pu commettre la fois précédente.

Juste après la qualification contre Arsenal, Marquinhos a justement indiqué qu’il parlerait de la finale perdue par le PSG en 2020 à ses coéquipiers…
OK, mais c’est comme dans la vie : on a beau te dire les choses, tant que tu ne les as pas vécues toi-même, tu ne sais pas ce que c’est en fin de compte. Marquinhos peut leur rappeler ce qu’il veut, ça aura moins de poids que côté Inter, où ils savent presque tous au fond d’eux-mêmes comment ils avaient géré ce moment-là.
Il faut surtout veiller à ne pas jouer la finale avant de rentrer sur le terrain. Même si c’était une finale de C1 sans spectateurs pendant la période Covid-19, c’est très bien que le PSG, dans son expérience en tant que club, l’ait jouée récemment. Paris a beaucoup appris grâce à ce moment-là et des détails peuvent être améliorés en vue de cette finale 2025. J’ai juste l’impression que malgré l’apport de Luis Enrique, l’Inter a un peu plus d’armes pour bien gérer cet événement-là.
Notre dossier sur la Ligue des champions
Quel effet aurait un troisième sacre européen du football français, 29 ans après la C2 soulevée par le PSG ?
Il y a un effet psychologique, et c’est pour ça que j’espère voir le PSG gagner la Ligue des champions samedi. Car le jour où ça arrivera pour de bon, il y aura un déclic pour tout le football français, comme pour un tennisman remportant un tournoi du Grand Chelem et enchaînant d’autres succès en finale ensuite. Ça serait donc magnifique que le PSG soit champion d’Europe. Ça permettrait à tout le monde de se dire : « P….., ils l’ont fait, on pourra peut-être essayer de le faire nous aussi ».