« protégé.e » de Terrenoire est le premier excellent album de l’année
Le mois de janvier s’achève à peine que l’on tient déjà l’un des tout meilleurs albums de 2025. protégé.e de Terrenoire, sorti ce vendredi, est une merveille d’écriture, de composition et d’expérimentation. Il relève le défi d’être extrêmement pensé, réfléchi, bourré d’audaces sonores, tout en restant accessible au plus grand nombre.
Le duo, formé par les frères Herrerias originaires de Saint-Etienne, voulait un disque plein de « panache ». A l’image de celui dont fait preuve Zidane à qui la chanson god save zinédine fait référence. « Il avait une singularité dans sa manière de faire les choses, de jouer, d’être au monde. Il est un personnage célébré, ambivalent, complexe, avance Raphaël, l’aîné. Avec cet album, on a pris des risques, comme il en prenait sur les terrains, pour faire du beau jeu. »
« Un travail d’affinage, de ponçage »
protégé.e, c’est du beau texte et du beau son, dont la conception a commencé il y a deux ans. Les frangins ont créé une cinquantaine de morceaux et en ont conservé quatorze au bout d’un long processus. « On a fait de multiples versions – une trentaine à chaque fois – pour chacun des titres, raconte Théo Herrerias. On a travaillé et retravaillé chaque mesure. On mettait parfois la structure d’un morceau sur un autre, ou on conservait la voix mais on partait sur de nouveaux accords. Puis deux semaines plus tard, on revenait dessus en partie ou en totalité. C’est vraiment un travail d’affinage, de ponçage. »
Cet artisanat s’exprime aussi sur hotline gorgone et le jour où tout s’est ouvert, où la voix de Théo est méconnaissable. « C’est là encore un mécanisme de production [le varispeed, une technique permettant d’accélérer une piste vocale], éclaire-t-il. On la bouge pour la rendre un tout petit peu plus aiguë, et la placer dans un monde qui n’appartient à aucun des genres. Ça permet d’ouvrir des portes, de créer des interrogations. On cherche à titiller la curiosité du public pour qu’il s’investisse dans l’écoute du disque. »
Forts de la Victoire de la révélation masculine en 2022, d’une tournée à succès, et de la popularité de Jusqu’à mon dernier souffle, extrait de leur premier opus paru en 2020, Les forces contraires, qui a touché une large audience par son utilisation pour une campagne publicitaire d’Intermarché, les Terrenoire auraient pu aborder ce nouveau disque avec appréhension.
« Une traversée de notre époque »
« On n’a pas voulu travailler avec la peur, assure Raphaël Herrerrias. On l’a façonné dans une espèce de joie enfantine, sans penser à l’impact, sans se demander si ça pourrait plaire. Il fallait qu’on se remette dans un état très débutant, pour créer dans l’illusion que l’on donnait naissance à la première chanson. C’est dans cet état de sincérité, qui ne s’agrippe à rien, à aucune attente, qu’on peut toucher. »
Les forces contraires était hanté par la mort de leur père et se cantonnait à l’intime. « Pour protégé.e, on a élargi l’horizon. On voulait faire une cartographie du monde dans lequel on vit, en prendre le pouls comme un sismographe. L’album, dans ses reliefs, est une traversée de notre époque », décrit le binôme en choeur.
Les quatorze chansons sont à écouter comme un carnet de voyage sonore doublé d’une exploration de nos humanités. Les oxymores musicaux, l’alliage de deux sensations contradictoires, rythment le disque. Ainsi, le fou dans la voiture exprime « une crainte joyeuse, parce que l’on peut danser sur cette chanson ». Le sens métaphorique des paroles, évoquant ce conducteur « qui tourne à droite, [qui] tourne à droite dur », ne fait aucun doute et le rythme chaloupé a tout du parfait hymne de manifestation. « Ce titre, c’est une interrogation, peut-être une peur, confie Raphaël. Et une manière aussi de résister face à ces personnages puissants qui semblent de plus en plus impressionnants, comme de mauvais personnages de film. »
« On choisit la préservation comme valeur centrale »
Le bruit annonçant la fermeture des portes du métro ouvre paris, la grande ville, une chanson narrative qui peut faire office de boussole. « Elle parle de la cohabitation, des corps ensemble, du collectif, résume Raphaël. On entend beaucoup de discours de peur, on nous rabâche que la société se polarise, comme si on ne pouvait plus vivre ensemble. Mais ce que l’on dit dans cet album, c’est que si l’on écoute la voix des autres, l’altérité, on constate que, finalement, ça se passe bien. »
« paris la grande ville, c’est un journal de bord qui raconte les différentes lectures que l’on peut avoir d’un territoire que l’on traverse, enchaîne Théo. Il y a tant de monde, c’est violent, mais en même temps, il y a de beaux moments, des sourires. Tout est ambivalent, tout est contradictoire. » Raphaël reprend : « Ce disque choisit la préservation, le fait d’être protégé.e tout autant qu’être le petit ou la petite protégé.e, comme valeur centrale, plutôt que la discorde et la conflictualité. C’est un album, qui essaie de faire passer les frontières, de poser la question de la complexité. Est-ce qu’on peut continuer à avancer ensemble ? En fait, on le clame : il va falloir avancer ensemble. »
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Cette affirmation, Terrenoire s’échinera à la concrétiser lors de sa tournée, lancée en mars. « On restera plusieurs jours dans les villes où nous nous produirons en concert. On fera des ateliers d’écriture avec des enfants, des chorales de personnes âgées, annonce Raphaël. On va faire des petits gestes, en fait. Ils ne vont pas changer la face du monde, mais, ils nous permettent de nous lever le matin et de nous dire, on fait dignement notre travail, en fait. Pendant la pandémie il a beaucoup été question de ce qui est essentiel. Je pense que ce qui est essentiel, c’est de se rencontrer. » L’exploration ne fait que commencer.