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« Profession : reporter » : La journaliste, figure d’émancipation féminine dans les séries

Une plongée dans le maelström de la rédaction d’un journal télévisé au mitan des années 1980 à Melbourne. Profession : reporter, série australienne en 6 épisodes disponible ce jeudi sur Arte.tv et diffusée le 2 février sur Arte, suit Helen Norville (la charismatique Anna Torv de Fringe, Mindhunter et The Last of Us), coprésentatrice vedette du magazine d’information News at Six, qui se bat pour être prise au sérieux en tant que journaliste au sein d’une rédaction misogyne, sexiste et homophobe. Chronique d’une figure télégénique, la journaliste, figure d’émancipation dans les séries.

Recrutée en 1984 pour apporter une touche glamour et s’asseoir aux côtés du « roi de l’information », Geoff Walters (Robert Taylor), Helen Norville que l’on découvre deux ans plus tard, a l’art de faire grimper l’audimat, mais souffre d’un manque de crédibilité, coincée entre un partenaire paternaliste et un patron (William McInnes) autoritaire et phallocrate.

Helen Norville, héroïne dotée d’« une sacrée trempe »

« À l’époque, nous n’avions en Australie que quatre chaînes de télévision. Tous les soirs, dans les foyers, on s’asseyait pour regarder les informations. C’était un moment plus ritualisé qu’aujourd’hui, et les présentateurs faisaient vraiment partie du quotidien des gens. Quand il s’agissait de présentatrices, je l’avoue, nous commentions surtout les vêtements qu’elles portaient ou le style de leur coiffure… Pourtant, il fallait faire preuve d’une sacrée trempe pour accéder à ce poste », se souvient Anna Torv dans le dossier de presse de la série.

La journaliste va s’allier à Dale Jennings (Sam Reid), jeune reporter appliqué, respectueux et ambitieux, pour s’imposer auprès de ses confrères. Ensemble, ils couvriront une chaîne d’événements allant de l’explosion de la navette Challenger à la crise du Sida en passant par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. 

A la manière de Mad Men, Profession : reporter examine la structure du pouvoir d’un lieu de travail comme un moyen d’interroger toute une époque. « J’avais envie de raconter la relation d’un homme et d’une femme qui, chacun de leur côté, sont en conflit avec le cliché qu’on attend d’eux. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à réfléchir au décor dans lequel pouvait se dérouler leur histoire que l’idée de la télévision m’est apparue. Dans ce milieu, la pression est particulièrement forte sur l’image que l’on doit donner : virile et charismatique pour les hommes, belle et posée pour les femmes », explique Michael Lucas, le créateur de la série.

Pour Anna Torv, Helen « est une combattante. Alors que le quotidien de nombreuses femmes dans les années 1980 était cantonné à l’espace du foyer, elle s’expose pour essayer de changer les choses, dans les rapports hommes-femmes et dans la manière de faire du journalisme ».

Une petite révolution dans les années 1970

Un travail d’émancipation sur le petit écran initié dans les années 1970 par la sitcom The Mary Tyler Moore Show, diffusée sur CBS de 1970 à 1977. « Il s’agit de la première série qui met à l’honneur une femme en prime time aux Etats-Unis. L’héroïne est la productrice d’un journal du soir d’une chaîne de télé », expliquait à 20 Minutes en 2014 Séverine Barthes, maîtresse de conférences à la Sorbonne Nouvelle, coautrice de Décoder les séries télévisées (De Boeck).

Cette série – inédite en France et culte aux Etats-Unis – mettait en scène une femme célibataire et indépendante, concentrée sur sa carrière de productrice associée d’une émission d’information à la station locale fictive WJM à Minneapolis. A la télévision américaine des années 1970, avoir une série centrée sur une protagoniste qui n’était ni mariée, ni dépendante d’un homme était une petite révolution à l’ère de la seconde vague féministe.

« La femme journaliste dans les séries télé est souvent indépendante. Elle s’impose face aux hommes avec son caractère bien trempé », poursuivait Séverine Barthes. Depuis, journalisme au féminin rime toujours avec émancipation. Dans les années 1980, la sitcom Murphy Brown mettait en scène Candice Bergen dans la peau d’une journaliste d’investigation, coprésentatrice du magazine d’information télévisée For Your Information (FYI), alcoolique repentie et explicitement féministe sur CBS.

Carrie Bradshaw bouleverse la sexualité féminine

En 1993, Loïs et Clark : Les Nouvelles Aventures de Superman sur ABC, met en vedette une Loïs, reporter lauréate du prix Pulitzer pour le Daily Planet de Metropolis, avec un rôle nettement plus important et plus valorisant qu’à l’origine. Loïs n’est donc plus que le faire-valoir du héros, la demoiselle à sauver, mais une femme intelligente, bagarreuse et pugnace.

En 1998 sur HBO, Sex and the City suit les tribulations de quatre New Yorkaises célibataires et en quête d’amour. Même le féminisme de la chroniqueuse Carrie Bradshaw paraît très soft par rapport aux standards actuels, ses aventures avec ses amies new-yorkaises ont bouleversé la relation que bien des femmes entretenaient avec leur corps, leur sexualité et leur désir, et grandement fait avancer le traitement des personnages féminins à la télévision.

Alex Levy, aux premières loges de #MeToo

A l’ère post-MeToo, la figure de la journaliste s’est imposée comme celle de l’émancipation féminine dans les séries télévisées. De 2017 à 2021, la pétillante série The Bold Type suit trois amies qui travaillent dans un magazine féminin, Jane, la rédactrice, Kat, la reine des réseaux sociaux, et Sutton, l’assistante. Inspirée de la vie de Joanna Coles, ancienne rédactrice en chef du magazine de mode Cosmopolitan, The Bold Type distille sous ses airs glitter et girly, des messages d’empowerment hypercontemporains autour de l’anorgasmie, du harcèlement et des violences faites aux femmes.

En 2018 sur Amazon Prime Video, Good Girls Revolt s’inspire d’une histoire vraie, celle des femmes du magazine Newsweek (News Of the Week dans la fiction) à l’aube des années 1970. Cette année-là, elles ont décidé de poursuivre en justice le magazine américain pour discrimination sexuelle : les hommes ont le statut de journaliste et les femmes n’ont pas le droit de signer les articles qu’elles écrivent et sont reléguées au travail de chercheuses non créditées. 

En 2019 sur Apple TV+, dans The Morning Show, Jennifer Aniston et Reese Witherspoon excellent dans la peau de deux journalistes télé aux premières loges pour tirer les enseignements de #MeToo et se rebeller contre une industrie médiatique patriarcale. Depuis les années 1970, la figure de la journaliste dans les séries accompagne ainsi toutes les évolutions de la condition féminine.