Procès Samuel Paty : « Je ne peux pas me sentir coupable »… Le prédicateur enfermé dans ses dénégations
A la cour d’assises spécialement composée,
Interrogé pendant plus de dix heures par la cour d’assises spécialement composée, Abdelhakim Sefrioui n’a pas concédé le moindre tort, rejetant en bloc toute responsabilité dans l’assassinat de Samuel Paty. « Je ne suis pas dans le cheminement, dans le schéma de ce crime », « je ne suis pas dans la chaîne [de responsabilité] », « je suis étranger à ce crime »… n’a eu de cesse de répéter, ce mardi l’activiste religieux – barbe et cheveux blancs, lunettes rondes à fine monture – jugé pour avoir participé à la campagne de haine qui a conduit à la décapitation de l’enseignant, le 16 octobre 2020.
S’exprimant avec aisance, voire suffisance, parlant souvent de lui à la troisième personne, l’homme de 65 ans n’a pas eu un mot pour la victime ou sa famille. Si ce n’est, peut-être, pour évoquer son propre sort. « Ce qui est grave, c’est que maintenant, on a lié mon nom à ce crime d’une atrocité sans nom », insiste-t-il. Lui qui est prompt à se mettre en avant, cherche avant tout à minimiser son implication dans l’engrenage qui fut fatal à l’enseignant. C’est pourtant lui qui a contacté Brahim Chnina, le père de l’adolescente à l’origine du mensonge, note le président. Lui qui a fait deux heures de route dès le lendemain matin pour se rendre devant le collège du bois d’Aulne. Lui qui a été décrit par la principale et la gardienne comme le plus véhément.
« Jean Moulin n’était pas un terroriste »
Tout au long de son audition, Abdelhakim Sefrioui s’attache à décorréler son rôle de tout aspect religieux. Jamais il n’emploie le mot blasphème. Il se décrit comme un pourfendeur de l’injustice mais nie toute forme de radicalisation religieuse. Son action, jure-t-il, n’a rien à voir avec les caricatures présentées en classe par Samuel Paty. « J’ai le droit d’être choqué mais la loi est là », insiste-t-il, assurant être très attaché à la « liberté d’expression ». A l’en croire, s’il tient tant à aider Brahim Chnina, c’est avant tout pour lutter contre la discrimination dont dit être victime sa fille, Z. « Demander à des enfants musulmans de se distinguer, c’est uniquement ça ma motivation », jure-t-il.
Certes, il ignore tout du mensonge de l’adolescente mais de nombreux SMS exhumés pendant l’enquête font référence à la diffusion des caricatures. Ses propos contrastent également avec la vie et l’activisme religieux de cet homme, à la tête du collectif Cheikh Yassine, du nom du fondateur du Hamas. Comment considère-t-il cet homme, l’interroge le président pour tenter de le cerner. « Jean Moulin n’était pas un terroriste. Terroriste pour les uns, résistant pour les autres », rétorque l’accusé.
« Le tueur avait scellé son projet le 9 »
Quid de sa vidéo publiée trois jours après sa venue au collège – le 11 octobre – et cinq jours avant l’assassinat de Samuel Paty ? Il y traite notamment le professeur de « voyou » et parle d’un acte « abject ». « Le tueur avait scellé son projet le 9, ma vidéo est sortie le 12 [le 11 dans la soirée, en réalité] », insiste-t-il. Et de préciser : « Je ne peux pas me sentir coupable ». Abdelhakim Sefrioui répète à l’envi qu’il ne pouvait pas imaginer que ses propos seraient dévoyés. Fin connaisseur du dossier, il rappelle que le terroriste, Abdullakh Anzorov, était à la recherche « d’une proie » depuis déjà plusieurs mois, accuse même les autorités d’avoir pris la situation avec une certaine légèreté. « La moindre des choses aurait été de prévoir une protection pour ce professeur », ose-t-il.
C’est bien toute la difficulté de ce dossier : peut-il être tenu responsable d’un attentat alors que rien ne le relie directement au terroriste ? Les investigations ont démontré qu’Abdullakh Anzorov n’a pas vu sa vidéo, se contentant de celles de Brahim Chnina, et les deux hommes n’ont jamais été en contact. Pour l’accusation, son activisme au côté de Brahim Chnina a permis de cibler Samuel Paty. Lui, se défausse sur le père de famille. « Moi, je n’étais pas en contact avec le tueur », precise-t-il. La cour, les avocats généraux insistent : en se présentant comme un responsable religieux, n’a-t-il pas l’impression d’encourager le père de famille. « Non, il était déjà en plein vol, dans le ressentiment », estime-t-il, comme une fin de non-recevoir.
Le verdict est attendu le 20 décembre.